LA MEDISANCE, MALADIE DE NOTRE SIECLE par Rony Akrich

by Rony Blog

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La médisance est une affection contagieuse qui fait d’énormes dégâts au sein de la communauté humaine. C’est une authentique calamité dont la gravité et l’ampleur dans notre société sont cause de conflits permanents. La médisance en tant que maladie de l’esprit est un obstacle à l’épanouissement moral. Il n’est pas uniquement défendu de s’exprimer en diffamant son prochain, mais il est également défendu de concevoir arbitrairement, en son for intérieur, de mauvaises pensées vis-à-vis d’autrui.
Revenus d’un exil de 70 ans en Babylonie, suite à l’écroulement du royaume de Judée, des exilés interrogèrent le prophète Zacharie: devaient-ils perpétuer le souvenir du 9 Av dans le deuil et le jeûne? La réponse du prophète les exempta de leurs devoirs, ces derniers n’aspirant qu’à maintenir le peuple dans un sentiment d’expiation.
Rentrés au pays, il fallait tenter non pas de soigner les manifestations de l’affection mais au mieux de la juguler et d’en finir. Ce n’est un secret pour personne, la ruine d’Israël, la destruction des temples et la dispersion restent intimement liées à la déchéance de l’ordre social et aux méfaits de la haine gratuite. Zacharie, porte-parole de l’Eternel, proclama haut et fort que l’on devait respecter la Parole divine: « Aimez la vérité et la paix », il leur enseigna dans son langage: « Ne pensez point de mal l’un de l’autre » (Zacharie 7).
Cette conception moraliste présentée par le prophète ne diffère guère des écrits contenus dans le texte toranique, il ne fait que réitérer, lui comme tous les autres prophètes, l’Ordonnance morale divine. « Tu jugeras ton prochain selon la justice ».
Il s’agit clairement d’infléchir la tendance critique vers une appréciation plus valorisante et moins défaitiste de la nature humaine. Les comportements de notre prochain nous entrainent bien souvent à des commentaires superflus, si ce n’est, déplacés.
Pourquoi ne pas envisager le meilleur et vouloir préférer l’appréciation la plus favorable?
Pourquoi ne pas être un familier de l’optimisme, priser le positif des choses et des êtres?
Il est grand temps de ne plus concevoir de généralités sur la seule base de phénomènes singuliers, notamment à propos du genre humain, honni soit qui mal y pense de son prochain et louable celui qui préfère la face éclairée.
Quand les sentiments de l’homme sont alimentés par la haine, cette dernière le conduit inexorablement vers une souffrance déchirante. Rongé en son for intérieur, il n’arrive plus à entretenir de relations sociales tandis que ses paroles deviennent offensantes.
La haine absolue, à l’état pur, livre l’individu dans un engagement au risque de sa propre existence, prêt à s’aliéner le monde entier. Elle apparait avec un sentiment d’incapacité, de n’être ‘’rien’’, et se conserve par elle-même, dans sa propre impuissance.
Cependant, plus que la formule d’un découragement, elle atteste d’une faiblesse à pouvoir saisir son prochain différemment. Lorsqu’elle parvient à ce niveau, elle concerne l’être même de l’autre, élimine tout partage possible avec lui. Seul son effacement pourrait le rassurer.
Le haineux affirme qu’il n’accepte plus de perdre son temps avec autrui, ce qu’il veut c’est triompher, pire: il exige ‘’d’être le gagnant’’ de ce qu’il considère comme une compétition, bien qu’il n’ait jamais eu l’honnêteté et le courage de se mesurer à cet autre.
Notre monde est de plus en plus haineux, c’est un monde où l’on aspire très fort à sa petite niche, au cocon où l’on se suffirait à soi-même, inaccessible à l’autre. On tente de contester l’existence de rivalités au lieu de lutter contre, on joue le jeu et quand elles resurgissent, c’est avec une force décuplée.
Au nom du refus de la violence, on produit des violences plus extrêmes.
L’œuvre littéraire de Rabbi Méir Hacohen de Radin se préoccupe justement des lois prohibant la médisance.
Dès son entrée en matière, le Hafetz Haïm évoque les regrettables calamités provoqués par la diffamation tout du long de notre Histoire.
Depuis Joseph bradé par ses frères, le récit biblique est parcouru par ce mal qui fourvoie la société des Hébreux vers une désolation des plus totales.
La destruction du Second Temple, balayée par le feu et les flammes, est directement conséquente de cette haine gratuite qui sévit parmi les Juifs. Ainsi identifie-t-il la haine gratuite à la médisance! Nous voici confrontés à des hommes dont la démesure morale est inédite et surtout dramatique, nul ne peut rester serein et paisible au souvenir de l’interprétation de Rabbi Yehuda Halevi lorsqu’il définit, avec nos maitres, l’Humain comme seule créature dotée de parole. (Kouzari, 1,35)
La parole est donc ce qui distingue l’Homme. Celui-ci est un être pensant, mais ce qui le détermine c’est son verbe, sa bonne parole, une parole positive.
Par contre, un verbe employé à mauvais escient et de manière récurrente prouve qu’il n’est pas simplement question d’une tare originale au sein de la nature humaine mais bien d’un souci capital.
Si l’homme est un être parlant et qu’il ne s’exprime pas comme il se doit, sa dimension de créature Humaine s’en trouve tronquée et le voilà plus proche de la bête que de la belle. « L’infect parler » illustre donc, sans aucun doute, un sérieux démantèlement de la nature de l’être.
La Parole est l’énoncé manifeste d’un esprit offrant au langage un supplément d’âme. L’être humain par sa simple présence véhicule des tendances tant dans le dit que dans le non-dit.
Si les hommes échangent et discutent entre eux, c’est que leurs propos ne sont pas vides de sens. Ce que chacun perçoit de l’autre n’est pas le verbe en tant que tel mais bel et bien sa signification, cette dernière est alors accueillie comme une intelligence absolue composée d’un vocable et d’un sens.
Mais cette somme n’est pas uniquement celle du verbe et de son sens, elle tire ses origines de l’être harmonieux ou non, elle témoigne de la nature vraie de l’Homme
Il faut une intelligence pour constituer le signe et lui donner un sens, il faut une conscience sensible pour appréhender une présence. C’est la Présence qui est intelligente et qui se communique dans les mots.
Revenons donc au diffamateur. Si la nature de cette personne est soumise à la calomnie, il n’est guère étonnant que l’affection déclarée se dénonce comme psychogène. Les constructions de sa demeure moisissent, le derme du délictueux se desquame en morceaux, de même que ses oripeaux.
Afin d’éviter toute contagion et déférence au sujet, pour s’assurer qu’une telle conduite ne portera pas à conséquence sur les autres membres du peuple, on condamnera le coupable au bannissement. On le chassera de son milieu jusqu’à son total rétablissement et le Cohen en charge, authentique thaumaturge de l’âme, lui fournira la thérapeutique appropriée.
Dans ces conditions, il nous faut nécessairement instruire que le jugement en diffamation ne concerne pas uniquement les rapports entre les êtres mais qu’il affecte aussi les relations entre les factions et partis de la nation des Hébreux.
Le rav Kook dénomme « Torat Eretz Israël », la Torah appréhendée dans ces proportions véritables, c’est-à-dire non point comme une simple religion mais bien comme un Projet Divin dont Israël se fait fort de transmettre la quintessence à l’ensemble de l’Humanité.

Pour révéler cette ‘’identité morale de la manière d’être Homme-Hébreu’’, il fallait qu’Israël retrouve un caractère National sur sa propre Terre et une fidélité sans faille aux Lois et Commandements de ce Projet.
Cet enseignement transcende le particulier pour mieux convoler vers la dimension collective du Peuple, de la Terre et de la Torah d’Israël. (Orot ha-Tora, ch. 13)
Depuis plus d’un siècle le peuple juif se reconstruit sur son terroir ancestral, on se doit sans l’ombre d’un doute d’étendre à présent la leçon du Hafetz Haïm, relative à la médisance, à l’ensemble de notre société.
Cette leçon servira à évincer tout mouvement incitant à la haine entre Juifs, voire au déchaînement oral, et à pondérer les rapports entre les différentes communautés, organisations politiques ou écoles de pensée.
Allons de l’avant et soyons des pionniers, exploitons le retour d’Israël pour asseoir l’estime et l’amitié entre les diverses tendances de notre collectivité. Essayons de favoriser les mérites, de ne pas entretenir la rancœur, de ne pas chercher à offenser… En clair d’exclure de notre vocabulaire tout propos vains et offensants.
Nous devons persévérer dans cette voie car ils demeurent nombreux ceux qui, dans leur vie privée, sont très agréables et soucieux de leurs proches. Ils surveillent leur langage, prennent des gants à chaque instant et témoignent constamment d’une charmante prévenance.
A l’opposé et concernant leurs rapports avec les factions politiques, entre gauche et droite, religieux et laïcs, orthodoxes et sionistes, ces mêmes individus souffrent bien souvent d’un laisser-aller exacerbé dans leurs déclarations publiques.
Persuadés d’être les responsables du modèle de la vertu, les mandataires de la vérité, ils considèrent leur comportement comme tout à fait conforme et nous assurent que la conjoncture requiert de ne pas lésiner sur les moyens.
C’est bien là que le bât blesse, là que se loge la duplicité contre laquelle le rav Kook nous avait prévenu, toutes idéologies bienveillantes ne justifient guère les écarts de langage et les sentences d’une impudence sans nom.
Le Tehilim 34 énonce très clairement : « Quel est l’homme qui veut la vie ? … Celui qui garde sa langue du mal ».
Or, l’étendue de la calomnie se trouve être relative à la quantité d’individus qui l’écoutent.
Plus l’assemblée sera nombreuse plus la réaction en chaine sera amplifiée.
Cette critique s’adresse principalement aux hommes politiques qui, pour se disculper ou légitimer leur programme, s’estiment contraints de calomnier leurs opposants de manière manifeste.
Maïmonide propose un contenu subsidiaire au délit de calomnie, lorsqu’il définit le médisant comme un « expert » en la matière (Hilkhot déot, ch.7). De pareils « experts » ne perpètrent pas ce méfait par hasard, ils l’établissent comme fonction essentielle et s’abandonnent à la diffamation de manière si méthodique que cet usage transforme leur nature de fond en comble.
Cette expression est analogue à celle de « Baal Teshouva » qui ne se satisfait pas d’un « mieux » restreint mais qui s’améliore perpétuellement vers la perception de D.ieu au travers du bon, du beau et du bien.
De nos jours, les moyens de communication sont devenus les artères foncières de la calomnie. Ils répètent avec malveillance les desseins outrageants que débitent couramment de notoires politicards ou hommes de religion. Le problème reste, cependant, si leurs auditoires doivent, eux aussi, assumer une part non négligeable de culpabilité, quant au délit de médisance, ceux qui diffusent ces propos illicites à des milliers de personnes atteignent le pinacle de l’exécrable !
Le système de défense des medias demeure immuable, ils sont l’unique rempart, l’assurance de nos libertés, car ils défendent le « droit d’expression et le droit du public à savoir ».
Il s’agit pour eux de préserver l’une des caractéristiques de la démocratie.
La question reste en suspens : La société humaine démocratique peut-elle se construire sur de telles fondations ?
Un philosophe disait un jour : ‘’nous n’avons guère besoin du suicide de la démocratie pour illustrer sa volonté’’
Malheureusement, des relents de cette inimitié arbitraire envers ceux qui sont différents de nous subsistent encore.
Nul n’est parfait, nous avons tout un chacun la responsabilité d’examiner les tares qui sont en nous, de les fustiger et d’y remédier, tout en révélant et en appréhendant les qualités que possèdent l’autre.
C’est le cas tout autant au niveau individuel qu’au niveau collectif.

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