L’APHORISME DE RONY AKRICH

by Rony Akrich
L’APHORISME DE RONY AKRICH

Il suffit qu’un certain nombre de personnes soient réunies par hasard dans le compartiment d’un train et qu’elles sympathisent entre elles pour que soudain tous les autres passagers soient considérés d’un œil méfiant et même vaguement hostile. C’est ainsi que commence tout sectarisme : que des hommes parlent entre eux, et les voilà misogynes; que des autochtones se reconnaissent, et les voilà xénophobes…Où que l’on soit, avec quiconque, un instinct grégaire nous rapproche, et nous distingue du reste du monde : il y a “les miens”… et les autres qui, manquants, ont toujours tort. Au niveau personnel déjà, un homme qui cherche à s’affirmer, se compare à l’Autre. L’Autre : cette horreur (ça réfléchit ! ça n’est pas semblable à moi ! c’est tellement insolite, il n’est pas certain qu’il admette mes capacités!) qui vit malgré ma gène, et même qui m’est indispensable. Il cherche à se discerner, à se découvrir lui-même, il doit concéder les limites du soi que l’autre personnifie. L’autre est une négation de soi, intolérable dès l’abord. Le groupe aura une même impression désobligeante face à un milieu inhabituel et donc contradictoire. Il paraît inacceptable que d’autres prônent des valeurs différentes, agissent de concert mais pas comme nous. Même avec les meilleurs sentiments du monde (par exemple en considérant que les étrangers sont précieux parce que dissemblables), nous n’évitons pas les guerres de synagogue : nous parlons, dans le meilleur des cas, d’intégration (il s’agira d’intégrer les autres dans notre système), comme si les autres ne devaient pas persister trop longtemps à rester hors de nous.Tout un chacun reprochera à autrui de ne pas saisir l’évidente concordance de ses règles, l’autre est fautif d’être différent. Sa différenciation est vue comme un déni de communiquer. On impute à l’autre d’établir une rupture inadmissible; quand on le peut, on va jusqu’à l’obliger à nous reconnaître, on désirerait tarir l’étrangeté comme une bizarrerie qu’il ne s’agirait jamais que de faire trépasser pour qu’enfin nous soyons tous entre nous. Les autres sont autant d’objets de tentation qui nous fuient, ils ne sont cependant pas des choses, nous le voudrions, sans cesse nous tentons de les transformer, de les exploiter, de les torturer jusqu’à leur faire admettre notre éminence dans notre monde. Il faut vaincre pour convaincre…

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