Les Apocryphes et Pseudépigraphes juifs (suite…). Par Rony Akrich

by Rony Akrich
Les Apocryphes et Pseudépigraphes juifs (suite…). Par Rony Akrich

Dans un rouleau de psaumes de Qumran, un certain nombre de compositions supplémentaires ont été découvertes, augmentant ainsi le corpus de textes déjà connus. Ils ont également aidé à comprendre un genre littéraire – les derniers Psaumes – qui se trouve être mal représenté dans les Apocryphes et les Pseudépigraphes. Ces poèmes pieux donnent un aperçu profond des sentiments religieux et des entendements de leurs auteurs. La connaissance d’une production littéraire intense de Psaumes existant à cette époque signifie que toute étude de la littérature juive ancienne doit désormais prendre très au sérieux ces Psaumes apocryphes.

Autre aspect important des manuscrits de la mer Morte est qu’ils ont été découverts dans un contexte archéologique et sociologique connu, les fixant définitivement à la période du Second Temple. Avant 1947, seuls les manuscrits chrétiens médiévaux des Apocryphes et des Pseudépigraphes étaient connus, et ils ne pouvaient être datés que sur la base des détails qu’ils contenaient. Ce n’était pas toujours une procédure fiable. Les manuscrits de la mer Morte, issus d’un contexte historique clairement établi, sont indispensables pour dater avec précision les écrits. En plus des découvertes à Qumran, un nombre important d’anciens Pseudépigraphes ont été trouvés ailleurs. Certains d’entre eux ont été conservés en grec et en latin; d’autres dans des traductions du grec et du latin vers diverses langues chrétiennes orientales – syriaque (Langue sémitique ancienne, appartenant à l’araméen oriental, qui est encore la langue liturgique de nombreuses communautés chrétiennes du Moyen-Orient.), éthiopien, arabe, slave, arménien et géorgien, entre autres. Les plus importants d’entre eux sont le « Livre d’Enoch » (en guèze-éthiopien [Langue éthiopienne classique de la famille des langues sémitiques, qui subsiste seulement dans l’usage liturgique de l’Église copte.] et en grec); le « Livre des Jubilés », également conservé en guèze-éthiopien; « Testaments des Douze Patriarches » en grec ; « L’Apocalypse de Baruch » en syriaque ; le Livre des « Secrets d’Enoch » en slavon (relatif à la langue slave, notamment au vieux slave); et les Livres « d’Adam et Eve » en latin, grec, slave, arménien et géorgien.

Parmi cette littérature se trouvent des œuvres au caractère varié. Certaines relèvent de l’histoire: par exemple, la principale source de connaissance concernant les combats des maccabim est le premier et deuxième livre apocryphe des « Maccabim ». D’autres œuvres, appelées « apocalypses », présentent des visions de secrets célestes et terrestres, de Dieu et de ses anges. Le souci des réalités célestes est un sujet en plein essor et très important déjà durant le Second Temple.

Dans ces œuvres dominent les questions religieuses primordiales, surtout la question de la justice de Dieu. De telles visions sont attribuées à Enoch, Ezra, Baruch et Abraham. Un nombre important d’ouvrages transmettent un enseignement proverbial sur des questions religieuses et pratiques. Ces nombreux livres de Sagesse ou sapientiaux : ensemble des livres de l’Ancien Testament qui visent à donner un enseignement moral comme « Le Livre de Job, Les Psaumes, Les Proverbes, L’Ecclésiaste, Le Cantique des Cantiques… ».

La Sagesse de « Ben Sira » : il s’agit d’un érudit juif, chef d’une académie à Jérusalem, qui écrivit au 2e siècle av. J.-C le « Siracide », appelé aussi l’Ecclésiaste de Ben Sira le Sage, un compte rendu de ses enseignements. Les Juifs de la période du Second Temple ont composé de nombreux psaumes et prières, exprimant leur amour pour Dieu, leur désir d’être proche de lui et leur angoisse face au sort des individus et d’Israël. Les manuscrits démontrent que la pensée juive de cette période était dualiste: Israël et l’humanité, le monde terrestre et céleste, les justes et les méchants. Les gens de cette époque vivaient pleinement, non seulement, ces manichéismes-là, mais aussi les tensions conséquentes. La foi emplie de certitude quant à la providence divine juste et miséricordieuse fut, très souvent, remise en question à la vue et sue de situations instables et d’événements violents à leur époque. Ces livres sont différents de la littérature rabbinique; ils ne traitent qu’accessoirement du caractère légaliste (halakhique), qui dominera ultérieurement dans le judaïsme rabbinique, et source de créativité juive.

Lorsque ces livres furent étudiées pour la première fois, les chercheurs réalisèrent qu’ils pouvaient aider à fournir, également, un contexte pour une meilleure compréhension des origines du christianisme. Dorénavant, le judaïsme rabbinique n’était plus la principale référence de comparaison avec la littérature chrétienne la plus ancienne, mais de préférence l’énorme littérature juive de la période du Second Temple, en particulier les Pseudépigraphes, apportait beaucoup plus de discernement et rendait l’origine juive du christianisme plus compréhensible. La contribution de l’étude des Apocryphes et des Pseudépigraphes à la compréhension de la Bible ne doit donc pas être sous-estimée.

L’historien Simon Claude Mimouni souligne le fait qu’ils ont, à l’origine, une légitimité égale à celle des textes canoniques : « D’un point de vue historique, il convient de ne surtout pas considérer les récits canoniques comme supérieurs aux récits apocryphes. À l’époque de leur rédaction – vers la fin du 1er siècle et durant tout le 2e siècle – les uns et les autres avaient très certainement le même statut théologique », jusqu’au moment où le canon a été fixé. « C’est au sein d’une diversité doctrinale foisonnante – en partie gommée par la canonisation – que les récits apocryphes ont fleuri soit pour s’opposer à certaines tendances marginales (qui deviendront hétérodoxes), soit pour défendre certaines tendances majoritaires (qui deviendront orthodoxes) »

En prenant connaissance de ces richesses littéraires, nous avions maintenant un aperçu des formes de judaïsme et de pensées religieuses au sein de la tradition juive qui, autrement, serait restée perdue. Ici, nous nous rapprochons de la question cardinale: pourquoi étudier cette littérature? La réponse unanime est que les Apocryphes et les Pseudépigraphes doivent l’être, car ils incarnent les expressions de l’esprit et du vécu humain à cette époque, l’historien est ainsi obligé de se pencher sur le passé. Pour les spécialistes de la « culture judéo-chrétienne », un intérêt particulier est inhérent à l’investigation de ce segment du passé où le judaïsme est né, c’est formé, et dans lequel le christianisme a émergé.

Toutefois, ces recherches et études, mêmes, lorsqu’elles sont explicitées ainsi, portent en elles des potentialités de perversion de la vérité et de conception erronée de la réalité. L’entreprise historique est une école de l’herméneutique, elle recèle une part non négligeable d’erreurs d’interprétations inhérentes à l’étude des origines de sa propre tradition. Les « orthodoxies » modernes et médiévales ont tendance à interpréter les textes avant qu’ils n’existent par eux-mêmes. Ce n’est que dans la dernière génération d’études sur le judaïsme de l’époque du Second Temple que les implications de cette façon de voir le monde ont commencé à pénétrer le tissu de la pensée et de l’écriture historiques. C’est un développement extrêmement important, car il permet à la littérature juive de cette période, à ces auteurs qui ont produit et honoré ces œuvres, de nous sortir des ombres géantes projetées par ces colosses jumeaux que sont le Talmud et la « religion ». Il devient alors possible de commencer à délimiter ce qui semble avoir été des aspects essentiels du judaïsme à l’époque du Second Temple. De nouvelles caractéristiques de la vie et de la pensée juive deviennent évidentes et la tâche de leur description détaillée et de leur intégration dans un tableau d’ensemble peut être abordée. Seul un tel effort nous permettra, en dernière analyse, de faire progresser notre compréhension du développement du judaïsme rabbinique.

C’est un travail lourd, mais très important, et ce sont les Pseudépigraphes qui nous fournissent des preuves d’aspects vitaux du judaïsme qui seraient autrement restés inconnus. Cet aspect de l’étude de cette littérature n’en est qu’à ses balbutiements. En le poursuivant, nous sommes en mesure de retracer l’influence des traditions et des documents juifs anciens au cours des siècles. Il y a eu une ou deux recherches qui ont montré la voie (Dr David Satran en 1980, Prof. (émérite) Michael Stone en 2001); d’autres chercheurs associés se sont penchés sur la manière dont les traditions apocryphes juives ont été reprises et développées par le judaïsme et le christianisme médiévaux (Wilhelm Bousset théologien allemand en 1896, Stone en 1982 et 1996). Ces deux voies d’investigation semblent susceptibles de produire de réels résultats dans l’étude directe des textes, dans l’évaluation de leur caractère et de leur fonction, ainsi que dans la différenciation des matériaux juifs et chrétiens, tâche pas toujours aisée. Dans cette perspective particulière, l’étude des Apocryphes et des Pseudépigraphes nous apprend à comprendre des aspects significatifs de la culture juive, de l’histoire juive et des origines chrétiennes, de cette époque.

Liste non exhaustive des livres apocryphes:

בתורה: 

מגילה חיצונית לבראשיתספר אדם וחוהצוואת קהת, חזון עמרם, ספר היובלים, ספר חנוך א, ספר חנוך ב, ספר חנוך ג, צוואות השבטים, צוואת אברהם, חזון אחרית הימים של אברהם, עליית משה, יוסף ואסנת.

בנביאים: 

דברי גד החוזה, חכמת שלמה, מזמורי שלמה, איגרת ירמיהו, עליית ישעיהו, ספר ברוך, חזון ברוך א, חזון ברוך ב.

בכתובים: 

דברי איוב, עזרא החיצוני, חזון עזרא, מזמור קנ »א, מזמורי קנ »ב–קנ »ה, תוספות למגילת אסתר, תוספות לספר דניאל, תפילת מנשה.

אחרים: 

בן סירא, ספר יהודית, ספר טוביה, ספר מכבים א – ב’, ג’, ד’, איגרת אריסטיאס, חזיונות הסיבילות, קדמוניות המקרא

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