Lettre à mon peuple, à l’aube sanguinolante par Rony Akrich

by Rony Akrich
Lettre à mon peuple, à l’aube sanguinolante par Rony Akrich

« Nos larmes sont les perles de notre âme sensible et farouche. »

Je ne sais plus comment nommer cette douleur, elle ne passe ni par les mots ni par les larmes, elle est là, partout, dans le corps, dans l’air, dans le silence.

Je souffre des morts. Je ne les connaissais pas, et pourtant je les porte en moi comme des frères tombés à mes côtés. Chaque nom est une absence qui s’imprime dans ma chair. Chaque visage effacé laisse une brûlure que rien n’apaise, ils étaient jeunes, ou vieux, civils, soldats, enfants mais ils étaient à nous et nous les avons perdus.

Je souffre des blessés, de ceux dont le corps ne répond plus, de ceux dont l’âme reste suspendue entre deux mondes, de ceux qui sourient à leurs proches sans les reconnaître. Blessures visibles, blessures invisibles, elles habitent notre peuple comme une seconde peau.

Je souffre des familles, ces maisons qui résonnent du vide, ces mères qui parlent à des photos, ces pères qui n’ont plus de mots, ces enfants qui grandissent sans repère, dans un monde fracturé trop tôt. Le deuil, ici, est collectif, mais il n’efface pas les douleurs singulières, il les embrasse, il les amplifie.

j’ai mal de mon peuple, mal de le voir debout et fragile, lucide et épuisé, vivant mais traversé par tant de mort. J’ai mal de voir les cœurs s’endurcir pour ne pas se briser, les regards se détourner pour continuer à avancer. Pourtant, même dans cette nuit, je l’aime, peut-être plus que jamais, j’aime ce peuple qui pleure sans se dissoudre, qui tient, non par orgueil, mais par fidélité. Fidélité aux siens, aux vivants et aux morts, fidélité à l’histoire, à la terre, à une promesse plus grande que lui. J’aime ce peuple qui résiste à la haine en continuant d’aimer, qui ne renonce pas à la vie, même lorsque la vie semble le trahir. Oui, j’ai mal, mais cette douleur ne m’éloigne pas, elle me rapproche, elle me rend frère de chaque endeuillé, de chaque soldat qui veille, de chaque enfant qui a peur. Dans ce lien de douleur, dans cette communion silencieuse, je retrouve une vérité nue: nous sommes un, un peuple, un souffle, une mémoire et cette unité-là, rien ne pourra l’éteindre.

Il y a des jours où le silence pèse plus que le bruit, des jours où le ciel semble trop bas, où l’air se fait lourd, saturé d’absences. Dans ces jours-là, il ne reste souvent que nos larmes, mais nos larmes ne sont pas une faiblesse, elles sont les perles de notre humanité. Preuve que nous n’avons pas cédé à l’endurcissement

que nous avons préféré rester sensibles, vivants, vulnérables. Une larme contient le souvenir d’un être, le poids d’un amour, le choc d’un adieu, ou parfois l’écho d’une prière. Quand un peuple pleure ensemble, ce n’est pas un effondrement, c’est une élévation, c’est une communion par-delà les mots, une façon d’honorer la vie même dans la mort. Dans chaque larme, il y a un refus: le refus d’oublier, le refus de se résigner, le refus de devenir indifférent. Nous ne pleurons pas parce que nous sommes faibles, nous pleurons parce que nous avons aimé et parce que nous aimons encore. Alors je continue, a pleurer, à parler, à écrire, à aimer, parce que c’est tout ce qu’il nous reste, et que c’est déjà immense.

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