Viva la propaganda par Rony Akrich

by Rony Akrich
Viva la propaganda par Rony Akrich

Les journalistes occidentaux, y compris les israéliens, ont une longue et ignoble histoire d’être des relais volontaires et vassalisés de la propagande pro-guerre (en Irak par exemple). Habituellement, ce comportement est au service d’une croisade militaire que les États-Unis ont lancée ou veulent lancer. Cependant, quelquefois, une telle trahison de l’intégrité journalistique se produit au nom d’un pays étranger que les dirigeants politiques américains et les élites des médias ont adopté comme cause favorite.

Nous assistons actuellement à ce dernier phénomène dans la couverture médiatique de la guerre Russo‐ukrainienne.

En Israël, nous entendons les tambours de guerre battus sauvagement, par le chœur de la presse, des universités, des ONG, des politiciens de gauche de tous bords et de tous les autres bastions, par une classe dirigeante défaite démocratiquement. Pétitions, vidéos de propagande, interviews, couvertures ininterrompues, manifestations, articles d’opinion, etc., le tout soutenu, et joyeusement amplifié, par un média de masse américain qui annonce fièrement son affiliation au Parti démocrate (progressiste).

N’oublions pas l’ingérence occidentale, sans foi ni loi, grâce au « New Israël Fund », celui-ci basé à New York possède des bureaux à travers les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, la Suisse, l’Allemagne… Sa création en 1979, comme soutien politique, fait suite à la prise du pouvoir par le Likoud aux élections de 1977. Le « Nouveau Fonds » a, depuis, accordé plusieurs centaines de millions de dollars à plus de 900 organisations israéliennes.

  » Shetil « , la branche exécutive en Israël, a pour but d’aider à créer des organisations, à les entretenir et à se gérer entre elles, dans leurs efforts pour influencer le calendrier public. Elle organise des formations, des réunions et d’autres activités pour les militants des organisations financées par le  » New Israel Fund « . Objectifs déclarés : « Renforcer et augmenter les forces démocratiques et les forces « progressistes » en Israël » aider le pays à réaliser la vision de ses fondateurs. Selon le « New Israel Fund », le gouvernement et le public de droite ont rejeté la vision d’Israël en tant que  » patrie juive et démocratique « .

Il me faut d’abord définir de quoi il s’agit.

L’une des définitions classiques de la propagande est « la gestion des attitudes collectives par la manipulation de symboles significatifs » (Harold Dwight Lasswell, 1927, chercheur américain, pionnier de l’étude de la communication de masse et de la science politique).

Une définition plus détaillée stipule que la propagande est l’expression d’opinions, ou d’actions, menées délibérément par des individus, ou des groupes, en vue d’influencer les opinions ou les actions d’autres individus, ou groupes, à des fins prédéterminées et par des manipulations psychologiques.

Une autre encore décrit la propagande comme une communication conçue pour manipuler une population cible en affectant ses croyances, ses attitudes ou ses préférences afin d’obtenir un comportement conforme aux objectifs politiques du propagandiste.

On peut également soutenir que la propagande intègre souvent la voix de l’État et est motivée par les intérêts d’acteurs hégémoniques institutionnels. (Yochai Benkler, écrivain et professeur israélo-américain à la Faculté de droit de Harvard)

Trois éléments sont au cœur de ces définitions: la propagande est intentionnelle ; elle repose sur la manipulation, notamment par l’utilisation d’informations trompeuses; et son but est de soutenir des objectifs politiques en dessinant et en gérant le comportement.

Cependant, le défi est de définir quels éléments des messages de propagande sont trompeurs ou manipulateurs.

Répondre à ces questions est particulièrement difficile dans le contexte des conflits.

Ce qui est considéré comme de la propagande par une partie au conflit serait traité par l’autre partie comme la « présentation légitime d’un cas de manière à ce que d’autres puissent être influencés et la diffusion d’informations pour une cause justifiée  » (Campbell Stuart, magnat de la presse canadienne. Il a dirigé des opérations de propagande pour l’Angleterre pendant les deux guerres mondiales).

Il est considérablement difficile de distinguer de manière cohérente la propagande d’une variété d’autres termes faisant référence à la communication avec une population qui a un résultat souhaité similaire : la persuasion, le marketing, les relations publiques et l’éducation.

Je porte ici mon attention sur un aspect particulier de la propagande : son rôle dans la mobilisation des individus et des groupes.

En 1895, Gustave Le Bon (médecin, anthropologue, psychologue social et sociologue français) a été parmi les premiers à considérer la propagande comme un moyen de façonner les opinions et les croyances des foules afin de déplacer ces dernieres vers des objectifs spécifiques.

Dès 1965, Jacques Ellul (historien du droit, sociologue et théologien protestant libertaire français) s’intéresse également au lien entre propagande et action, en considérant la propagande comme « un ensemble de méthodes employées par un groupe organisé qui veut provoquer la participation active ou passive à ses actions d’une masse d’individus… ».

Son approche de la propagande passe cependant presque inaperçue au regard de positions beaucoup plus connues, comme celles de Noam Chomsky. Elle se démarque radicalement du schéma opposant frontalement dominants et dominés, pour s’inscrire au contraire dans une réflexion sur l’aliénation, dans le sillage d’un Étienne de La Boétie (Discours de la servitude volontaire) : si l’homme se trouve dans une situation de subordination, ce n’est pas seulement consécutivement à une oppression d’autrui mais aussi parce que, de manière inconsciente, il refuse d’assumer certaines responsabilités. Sa liberté lui étant, au fond, insupportable, il préfère s’inventer mille prétextes afin de s’en détourner au lieu de la vivre pleinement.

Ce qu’Ellul appelle « sacralisation de la technique » relève donc de l’idéologie et rejoint le concept contemporain de fuite de soi. C’est pourquoi, insiste-t-il, « croire que l’on modifiera quoi que ce soit par la voie institutionnelle est illusoire », la politique, dans son ensemble, est elle-même une gigantesque illusion, ce qui importe fondamentalement, c’est que les hommes, dans leur singularité, revoient chacun leur façon de penser le monde.

À cet égard, la pensée d’Ellul rejoint celle de deux de ses contemporains, Guy Debord et Jean Baudrillard, respectivement à l’origine des théories de la société du spectacle et de la simulation, et qu’il mentionne régulièrement dans ses livres.

Les trois essayistes ont en commun le fait de privilégier le concept d’aliénation à celui de domination

Des modèles plus spécifiques de l’interrelation entre la propagande et l’action souhaitée avaient déjà été cartographiés.

Par exemple, les tracts largués depuis les airs sur les soldats ennemis peuvent être considérés comme une « propagande du désespoir » destinée à « briser le moral de l’ennemi », et en même temps comme une « propagande de l’espoir » destinée à présenter à l’armée ennemie et aux civils une image d’une terre promise dans laquelle ils peuvent pénétrer s’ils déposent les armes

Comprendre la propagande comme un moyen de conduire un mode d’action spécifique parmi un public cible met en évidence le double rôle de celle-ci.

D’une part, elle cherche à façonner une vision du monde particulière et à offrir une interprétation spécifique de quelque chose qui se passe dans l’environnement entourant le sujet.

D’autre part, en s’appuyant sur la diffusion symbolique des significations, elle cherche aussi à soutenir, ou provoquer, une action de ce sujet qui impactera et, potentiellement, modifiera l’environnement de manière spécifique. Cette dualité peut être captée et conceptualisée si nous abordons la propagande dans une perspective médiatique, c’est-à-dire comme quelque chose qui façonne la relation entre un sujet et son environnement.

En m’appuyant sur cette approche, je propose une définition de la propagande qui s’appuie sur une notion de médiation : la propagande est un effort intentionnel pour façonner la relation entre une cible individuelle d’information (le sujet) et son environnement (l’objet) en s’appuyant sur la diffusion d’une signification symbolique afin de soutenir un cours particulier de l’activité du sujet par rapport à des objets spécifiques d’activité..

En un mot, la propagande numérique modifie la relation entre les utilisateurs (sujets) et les conflits (objets de l’activité des utilisateurs dans leur environnement).

La relation entre le sujet et l’objet a deux directions.

La première direction, du monde vers le sujet, repose sur la médiation du sens.

La seconde direction, du sujet vers le monde, repose sur la médiation de l’activité.

La propagande vise à soutenir ou à modifier une relation existante à un objet, ou à construire un nouvel objet qui nécessite l’activité du sujet. La construction intentionnelle de relations sujet-objet peut s’appuyer sur des techniques psychologiques manipulatrices, ainsi que sur la diffusion de désinformation. La perspective médiatrice suggère que la discussion sur les potentialités numériques devrait se concentrer sur la manière dont les nouveaux moyens de production numériques et la prolifération de la propagande modifient la relation entre un sujet et son environnement.

La relation entre les usagers du numérique dans les conflits est un exemple de la relation sujet-objet.

Dans ce cas, la perspective de médiation explore non seulement comment la propagande offre de nouveaux cadres et interprétations de différents événements liés au conflit, mais illustre également la gamme d’activités qui est offerte aux utilisateurs qui s’appuient sur des outils numériques dans des situations de conflit.

Je noterai cependant que la propagande ne vise pas nécessairement à construire une relation active entre le sujet et l’objet. Comme l’a souligné Ellul, la passivité est le mode d’activité, parfois le mode désiré par le propagandiste. Cela se produit souvent dans les cas où la propagande cherche à induire une désorientation, une situation « dans laquelle la population cible perd simplement la capacité de distinguer le vrai du faux ou chercher où aller pour obtenir de l’aide pour faire la distinction entre les deux ».

En résumé, la propagande n’est pas seulement un moyen de changer la perception d’une personne de l’environnement par des moyens symboliques, mais aussi un moyen de changer le comportement d’un public cible afin de changer l’environnement.

En ce sens, la médiation agit toujours dans deux directions :

Premièrement, elle vise à changer les perceptions du public destinataire/cible (un groupe de sujets).

Deuxièmement, elle vise à façonner l’activité du public cible en relation avec l’environnement (ou le manque d’action, si l’activité doit être neutralisée).

Par le passé, ces deux processus se distinguaient l’un de l’autre. Dans un premier temps, un sujet recevait un message via un artefact, dans des espaces publics (affiches, cinéma, kiosques à journaux ou haut-parleurs, par exemple), ou dans des espaces privés (récepteurs de télévision ou de radio). Dans un deuxième temps le sujet « choisissait » d’agir conformément au message qu’il perçevait alors ! Aujourd’hui nous sommes face à une réaction émotionnelle en chaîne, une manipulation faisant de l’endoctrinement, de l’intoxication, une vérité inalienable .

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