Selon la tradition, Rosh Hashana a été donnée au peuple d’Israël lors de ses pérégrinations dans le désert, comme cela est décrit dans le livre de Vaykra (23:23-24) et le livre de Shemot (29:1-17). Mais quiconque lit ces versets comprendra immédiatement l’embarras, la fête énoncée n’est absolument pas Roch Hashana.
Non seulement elle ne se nomme pas ainsi, mais il est clair qu’elle n’est pas du tout considérée comme un « nouvel an ».
Dans ces versets, comme dans le reste de la Bible, l’année commence au printemps, au mois de Nissan, dont il est question dans le livre de Shemot : « Ce mois-ci est pour vous le commencement des mois; il sera pour vous le premier des mois de l’année. » (12,2).
C’est pourquoi, lorsque Dieu parle à Moshé de cet autre jour, selon l’écriture dans nos livres, Il nomme la date: « au septième mois le premier jour du mois », c’est-à-dire exactement le milieu de l’année. (vaykra 23, 24)
Il est donc clair que l’auteur de ces versets, Moshé ou un autre, ne parle pas d’une fête associée à un quelconque début d’année. Si oui, la question se pose de connaître le but de cette fête et l’époque où elle est devenue Roch Hashana ?
Il est intéressant de savoir ce que l’auteur voulait dire par « un repos solennel, une commémoration par un ‘son’, une sainte convocation » (vaykra 23, 24).
S’il est clair qu’il s’agit ici d’un jour chômé (Shabbat) en mémoire d’un événement mémorial, survenu à cette date, qu’il nous est commandé de nous souvenir, mais de quel événement s’agit-il ?
Selon Rachi, on nous raconte la «ligature d’Itzhak», mais il ne donne aucune explication, de plus, cet épisode n’est pas daté (Genèse 22).
N’est-il pas plus logique d’identifier cet événement qu’on nous ordonne de nous souvenir ce jour-là, avec un fait réellement produit, mentionné à cette date ?
Il s’avère qu’il n’y a pas pléthore de tels événements parmi lesquels choisir !
Dans toute la Bible, une seule actualité est décrite comme s’étant déroulé ce jour-là :
« Ezra le prêtre apporta la Torah devant l’assemblée, hommes et femmes et quiconque était capable de comprendre, le premier jour du septième mois. » (Néhémie 8, 2).
Notons ici un évènement important, ou peut-être pas du tout, cette première lecture publique de la Torah à Jérusalem après l’exil de Babylone. Certes ce fut un jour férié, mais la mention de la date reste laconique, comme s’il s’agissait juste d’un autre jour. En fait, après avoir lu la Torah, il est écrit qu’Ezra annonça aux Judéens :
« Allez, mangez des mets succulents, buvez des breuvages doux et envoyez-en des portions à ceux qui n’ont rien d’apprêté, car ce jour est consacré à notre Seigneur. » (8,10).
Il ressort assez clairement de ses propos qu’Ezra a instauré cette fête en souvenir de la grande joie de lire les Saintes Ecritures ou, en d’autres termes, « une commémoration par un ‘son’, une sainte convocation » (Zich’ron Terua Mikra Kodesh).
Ici le terme « Terua » signifie « joie » ou « célébration » comme il est interprété dans ses occurrences dans les derniers livres de la Bible (Esdras 3, 12; Chroniques 1 15, 28; Job 33, 26).
En attribuant l’établissement de la fête à Ezra, le scribe résout un problème et en crée un autre. Ceci explique pourquoi dans le livre de Devarim (17, 1-17) et dans le livre d’Ézéchiel (45, 18) où les fêtes d’Israël sont listées, il n’y en a aucune spécifiant le premier jour du mois de Tishri. Ces livres ont probablement été écrits avant que ce « nouvel an » ne soit fondé par Ezra. Quant aux versets décrivant une ‘fête mémorielle’ dans le livre de Vaykra et dans le livre de Shemot ils pourraient avoir été écrits après le retour à Sion et non comme le prétend la tradition par Moshe dans le désert. Tout cela ne devrait pas nous surprendre plus que de mesure, les érudits bibliques contemporains n’affirment-ils pas depuis des années que de grandes parties des livres de la Torah ont été écrites pendant cette période ? Les anciens ne pouvaient accepter une telle possibilité et donc durant la période du Second Temple, le lien entre la fête et Ezra a été oublié ou volontairement délaissé.
Le philosophe juif Philon d’Alexandrie (15 avant JC à 45 après JC) et l’historien juif Flavius Joseph (37-100 après JC) reconnaissent une fête mineure le premier jour du mois de Tishri, mais ne la relient point à Ezra. Philon mentionne le son du shofar dans le cadre des traditions de ce jour, de sorte que le mot ‘Troua’ signifie « le souffle des trompettes » ainsi fut-il traduit dans la traduction des Septante (selon divers exemples de la Bible où il est évident que tel est le sens du mot, par exemple dans Bamidbar 10,5 et Psaumes 27,6). Cela marquait probablement la naissance de cette tradition de fête pendant la période où le Temple était encore debout.
Philon et Josèphe ne soulignent pas qu’il s’agisse de Rosh Hashana, ni d’ailleurs les Rouleaux de la Mer morte, ni même le Nouveau Testament qui ne fait aucune allusion à ce sujet.
La première fois où nous apprenons que l’année commence à Tishri et non à Nissan, comme il est littéralement spécifié dans la Torah, se trouve dans la Mishna et la Tosefta (une compilation de la loi orale, contemporaine à la Mishna, dont elle ne se veut que supplément ou annotation), les écrits rabbiniques compilés vers 200 après l’ère vulgaire, mais contenant certaines traditions antérieures. Par conséquent, nous pouvons seulement dire en toute sécurité, le 1er Tishri a commencé à être instauré comme ‘Rosh Hashana’ entre 70, lors de la destruction du Temple et 135 de notre ère, lorsque la révolte de Bar Kochba échoua. Les rabbins de cette époque, ceux de la génération du soulèvement et leurs élèves, vont légiférer à propos de ‘Rosh Hashana’ lors de la transcription de la Loi orale.
En ce temps-là, les Sages saisirent la vacuité de la fête du 1er Tishri, une fête dont nul ne connaissait la finalité, ils vont y verser un nouveau contenu et lui donner sens. On savait seulement la façon dont cela se déroulait, par des sacrifices dans un Temple qui n’existe plus et les notes, disparues, d’un Shofar. Ils lui octroyèrent un nouveau nom, « Rosh Hashana », et affirmèrent que c’était là l’anniversaire de l’acte de Création, le jour du règne de Dieu sur l’Humanité et le jour où les personnes seront jugées pour leurs actes de l’année précédente et le jugement édicté pour la nouvelle année.
Y aurait-il d’autres origines à ce chamboulement ?
Difficile de ne pas soupçonner des emprunts babyloniens : ‘Akitu’ ou son autre nom « Resh Shatyim » (littéralement : Rosh Hashana). Cette fête babylonienne est aussi associée à la création du monde, (c’est-à-dire l’histoire de « l’anomah Elish »), au règne de ‘Marduk’ en tant que dieu suprême, au jugement sur les faits et gestes de l’année écoulée, au destin de chacun pour la nouvelle année. Mais cette fête, comme l’ancien nouvel an iranien tombe à Nissan et non à Tishri (Norouz a des origines persanes et zoroastriennes; depuis plus de 3000 ans, cette fête est célébrée par diverses communautés en Asie de l’Ouest, Asie centrale, Caucase, bassin de la Mer Noire, Balkans et Asie du sud).
Est-il possible que cette question ait interpellé les Sages lorsqu’ils ont légiféré sur Roch Hachana à Tishri?
Ont-ils décidé, vraisemblablement, de donner aux Juifs leur propre nouvel an, afin de ne pas être tenté par les fêtes païennes de leurs voisins ?
Quelle que soit la raison de la date et des traditions de cette fête, on peut aisément admettre que la législation rabbinique l’a bel et bien établie, et non Moshe au Sinaï !
SHANA TOVA
Rony Akrich