« La liberté de penser, et de mal penser et de penser peu, la liberté de choisir moi-même ma vie, de me choisir moi-même. Je ne peux pas dire d’être moi-même puisque je n’étais rien qu’une pâte modelable, mais celle de refuser les moules. » Françoise Sagan (Bonjour tristesse 1954)
Au maitre respecté et ami, Rav Eliezer Melamed Shlita, je tenais à le remercier pour son éternel courage à vouloir exprimer ses vérités si dérangeantes parfois.
Grâce à ses prises de positions déterminées et si justes, j’ai voulu à mon humble niveau tenter de le soutenir et de renforcer cette voie (voix) et par cela, en français aussi, encourager ceux qui me lisent à plus d’autonomie dans leurs pensées et croyances !
« Le courage de la vérité« , le concept semble étrange, n’est-ce pas?
Le courage s’entend généralement comme une capacité à faire valoir sa force physique ou bien un refus mental de victimisation face aux périls, aux menaces, voire aux conflits.
La vérité exige beaucoup plus d’efforts, entre autres : le sentiment vrai, la fulgurance de l’esprit, la rigueur de l’être, l’opiniâtreté inébranlable.
Mais le courage?
L’idée du concept, « le courage de la vérité », approprié, éclairé, fut le fruit d’un long travail de recherches et d’études menées par le philosophe Michel Foucault, qui en fera même le banc-titre d’une année de leçons magistrales, en 1984, au Collège de France (Paris).
Toutefois, il nous faut répondre au pourquoi du « tout dire », « dire la vérité » sans duplicité ni courbette linguistique, et non des moindres, en quoi est-ce lié au courage?
Notre philosophe va ainsi développer sa pensée à partir d’un terme grec: la « Parrhésie », une notion centrale dans la philosophie cynique qui prône absolument la liberté de parole, de ton et d’action. Courage et vérité se retrouvent dans cette parole sans équivoque, ils assument pleinement la prise de risque, l’exposition probante à la colère d’autrui.
En effet le verbe formulé, ici, sera très franchement l’expression de thèses objectant contre la bien-pensance des savants et des masses.
Michel Foucault rapporte un moment de l’histoire grecque pour illustrer sa pensée: le Périclès qui, pendant la guerre du Péloponnèse, parla au peuple d’Athènes pour lui faire entendre de douloureuses vérités. Ce même Périclès refusera de trouver grâce aux yeux de tous et prendra le risque d’éveiller leur colère, leur haine et leur frustration. Il s’adressa au peuple dans une harangue difficile à entendre et sans concession.
Le courage en démocratie, c’est indubitablement un propos qui n’est pas toujours consensuel, mais bien au contraire provocant et apostrophant. Il ne peut être nullement question d’une simple quête populiste autour d’une approbation plus large, du consensus général, mais de préférence mettre en lumière les entendements de la majorité aphasique, balayer les sentiers battus, provoquer le débat.
L’exigence doit être une libre-pensée, sans nécessairement devoir s’identifier aux opinions arrêtées du livre ou de l’autorité. S’orienter selon ses propres connaissances, refuser de devenir l’objet aveugle d’un quelconque directeur de conscience. S’offrir une hygiène de vie normative, rester les maitres de notre libre arbitre, éconduire les gourous malfaisants (scientifiques, religieux ou politiques). Manifester haut et fort notre opposition aux règles du conformisme pensant et agissant!
Le livre, le directeur de Conscience, le médecin : Ce sont là, trois exemples qu’Emanuel Kant utilise dans son opuscule: « Qu’est-ce que les lumières? », notons que tous convergent vers un même concept: l’autonomie.
Qu’est-ce que les Lumières? C’est selon lui le courage de délivrer sa pensée et de professer des connaissances et des savoirs autonomes, d’agir selon diverses inspirations procédant de l’esprit critique, de donner un sens à son existence. Si le premier volet est bien entendu essentiel, les deux autres sont une conséquence logique de celui-ci.
Les Lumières ne sont pas tant (même si tout ou partie) un moment de l’histoire, un courant philosophique, une évolution des mentalités. C’est, dit Foucault après Kant, un comportement, une posture, une certaine conduite de l’homme envers lui-même, un verdict moral. On remarque, comme pour la « parrhésia », le même élément de courage, qui résulte du sens originel en langue grecque. « Parrhésia », dans son antique version, était une allocution libre destinée à tout autre, dans laquelle on prenait le risque, en divulguant ses convictions sans filouterie, d’indisposer, d’agacer, de mettre en colère. Cette fois, chez Kant, le « courage de la vérité » est renvoyé vers soi, je ne provoque plus autrui, mais moi-même. J’accepte ma propre remise en question, j’admets pouvoir ébranler mes certitudes, je me contrains à devenir le sujet de mes pensées, de mon esprit critique !
L’instruction de la vérité réclame bien plus que de simples intuitions lumineuses ou une intelligence perspicace, elle sollicite certainement un vrai courage intellectuel et spirituel. Non seulement pour défendre nos croyances au-delà des adversités, non seulement pour poursuivre la remise en question nonobstant les misères et les errances, mais aussi, afin de pouvoir accepter notre désobéissance aux clauses, la remise en cause de nos convictions les plus chevillées.
Ce sont là des actes de courage ! Réfléchir par soi-même,
Être responsable de ses actions, Permettre l’expression de soi, refuser le secours des opinions dominantes, rejeter les béquilles de vérités mémorisées sans savoir, est une démonstration courageuse de la liberté de dire et de penser.
Semblable au courage physique ou militaire, il s’agit dorénavant de faire face a l’infirmé, mais aussi de formuler nos études et nos recherches réelles et profondes. En osant penser par nous-mêmes, nous nous exposons à la critique, aux erreurs et à la condamnation.
Cette sincérité audacieuse, appliquée à la conduite de notre existence la plus intime, a aussi une dimension politique importante:
Pour dire la vérité sur nous-même, vouloir entendre ce qui nous serait désagréable, cela ne concerne guère les Grecs, uniquement, mais le gouvernement du peuple ainsi que chaque individu. Le sujet et l’État reposent ainsi sur une expression similaire de l’exigence de vérité, du contrôle de soi et du contrôle de l’autre. Activer la sincérité envers toute la race humaine, obliger l’homme à crier, provoque et blesse mes conventions. Dans la lutte contre toute l’Humanité au nom de la Vérité, il se bat contre lui-même ainsi que contre tous les autres. L’homme qui a le courage de la vérité nous le révèle: rejoindre la vérité implique une révolution en général et en particulier, c’est une rupture radicale d’avec les perroquets surannés. Le messager de la vérité, le héros cynique, œuvre à l’émergence, à terme, d’un monde toujours perfectible.
La vertu n’est pas de ce monde, si elle l’était, nous l’aurions su depuis longtemps. Dès le début de l’Humanité et la mise en œuvre de la pensée, des intellectuels, de tous bords, ont débattu, parfois vivement, du sens de la liberté d’expression. Certains préconisaient une liberté totale, tandis que d’autres appelaient à une liberté limitée, encadrée et retenue.
Est-il possible de tout dire ?
Avons-nous le droit de nous exprimer sur tout, sans aucun égard quant aux conséquences?
Autant de questions auxquelles de nombreux philosophes, politiciens, moralistes et législateurs ont tenté de répondre.
Or, en 2021, nous pensions que la question était suffisamment entendue et il semblait que tous était d’accord avec le sujet, la liberté d’expression et d’opinion demeurait capitale. Malheureusement, la réalité nous détrompe, ne nous cachons pas la vérité, ne faisons pas la sourde oreille et ne nous endormons point sur nos lauriers. La liberté d’expression ne fait toujours pas partie des lieux communs de la société humaine. Loin de là, il existe une censure des croyances et des opinions qui tente d’infiltrer les médias, les espaces de travail et l’espace public. C’est la censure des ‘gardiens du passé’, du courant dominant religieux et politique, des polices d’opinion qui jamais ne vieillissent, ne nous y trompons pas, rien de vraiment inédit sous le soleil d’Israël. Ils existent depuis des lustres, mais apparaissent, aujourd’hui, sous de nouveaux jours. Il fut un temps où la censure mettait sous le feu des projecteurs les opposants à la bien-pensance et les menaient au bucher. La croyance
« politiquement correcte » utilise ses puissantes assises pour empêcher toute dissidence, il faut tuer dans l’œuf faits et idées contraires à la doxa dominante.
Nous devons rester vigilants et cohérents si nous voulons défendre la liberté d’expression, même si celle-ci est différente et quelquefois très opposée à nos propres opinions. Retournons nous sur l’Histoire humaine et entendons leurs cris…
Le 17 février 1600, le philosophe Giordano Bruno est brûlé vif à Rome sur décision de l’Inquisition catholique romaine. Dix-sept ans plus tard, Copernic, qui a posé les bases de la science moderne avec ses thèses sur la rotation de la terre autour du soleil, est condamné à les abjurer et à la prison à vie.
Pourquoi le pouvoir religieux s’est-il senti menacé par la théorie héliocentrique ébauchée par les deux savants?
Au siècle qui forgea pourtant le concept de liberté d’expression, et dont ils furent les principaux défenseurs, les philosophes des Lumières ont eu à subir les rigueurs de la censure royale, des peines de prison voire l’exil. En 1717, le jeune Voltaire est incarcéré onze mois. Diderot connaîtra le même sort en 1749, expérience traumatisante qui marquera profondément le philosophe. Quant à Montesquieu, pour contourner la censure, il fait publier par prudence à Amsterdam (et anonymement) son Esprit des lois ou ses Lettres persanes.
Rosa Luxemburg a été emprisonnée en 1915 et 1916 en raison de son engagement pacifiste et antimilitariste en pleine Première Guerre mondiale. Le philosophe italien Antonio Gramsci, persécuté par le régime fasciste, a été incarcéré de 1926 à sa mort en 1937. Quant à l’écrivain russe Varlam Chalamov, victime des grandes purges staliniennes, il a été détenu dans un goulag en Sibérie de 1937 à 1951.
La liberté d’expression peut-elle être inconditionnelle?
Seul un tort, une offense ou une nuisance peut limiter la liberté d’expression, mais comment mesurer un tort fait à autrui par une parole?
Et quelle est l’importance du contexte dans le poids d’une parole?
« Si tous les hommes moins un partageaient la même opinion, ils n’en auraient pas pour autant le droit d’imposer silence à cette personne, pas plus que celle-ci, d’imposer silence aux hommes si elle avait le pouvoir. (…) Ce qu’il y a de particulièrement néfaste à imposer silence à l’expression d’une opinion, c’est que cela revient à voler l’humanité : tant la postérité que la génération présente, les détracteurs de cette opinion davantage encore que ses détenteurs », écrivait John Stuart Mill dans son traité De la liberté (1859).
Nous ne devons pas regretter de penser différemment de la majorité inanimée, gouvernée sans raisons. Pensons librement et exprimons nos opinions sans porter atteinte à la liberté de l’autre, sans inciter explicitement à la haine ou aux actes de violence contre telle ou telle personne, tel groupe ou tel autre.
La liberté d’expression est fragile, alors restons vigilants