L’ancrage du modèle de vote de classe en Israël est une expression de l’égarement de la gauche. Contrairement à sa prétention de promouvoir la justice sociale, elle est principalement soutenue par les classes établies et provoque une aliénation parmi les classes défavorisées.
Un échec similaire caractérise la gauche dans de nombreux pays occidentaux: à mesure que le néolibéralisme sapait la sécurité sociale fournie par l’État-providence, le soutien des classes défavorisées à la droite populiste augmentait. Ce paradoxe est au cœur de notre explication: les classes ouvrières se sont séparées des mouvements de gauche après que ces partis aient adopté le néolibéralisme, et dans ce cadre, elles ont également rejeté le soutien au féminisme, aux droits des LGBT et des minorités, ce qui a donné à la gauche son image « progressiste », un rejet qui les rapproche du populisme.
La déformation de la gauche en « néolibéralisme progressiste » a été rendue possible par l’absence d’une « vraie gauche » reliant les classes ouvrières aux mouvements de libération de genre et de classe. Donc, pour lutter contre le populisme, il faut mettre en place une véritable gauche, qui promeut le «socialisme démocratique ». C’est un point de départ pour analyser les échecs de la gauche israélienne et examiner les moyens de la renouveler, afin qu’elle puisse contester la droite et ses politiques.
Depuis le milieu des années 1980, dans le cadre de leur adaptation à l’hégémonie de la droite, les classes établies, qui forment le noyau dur des partisans de la gauche israélienne, ont commencé à légaliser la privatisation et à y voir un moyen d’accroître leur pouvoir économique, en compensation de la perte de leur pouvoir politique.
Au fil des ans, cette gauche, partis travailliste et Meretz, y a répondu en coopérant avec la droite pour construire le néolibéralisme, en Israël.
Cela a constitué la base du régime des gouvernements d’union nationale formé par le Likoud et le Parti travailliste entre 1984 et 2013.
À la lumière du différend entre les deux parties sur la question des « territoires », leur partenariat reposait sur un accord concernant la dissolution de l’État-providence et la privatisation des services sociaux et des infrastructures. Cet accord dont la première manifestation fut le « plan de stabilisation » adopté par le gouvernement de rotation de Peres-Shamir en 1985. Rabin et Barak formèrent des gouvernements de gauche dirigés par les travaillistes en 1992 et 1999. Ils ont été les porte-drapeaux de la privatisation, une politique également promue par leur principal partenaire, le Meretz, qui a subordonné le socialisme au néolibéralisme au nom de la lutte pour la paix.
Le partenariat néolibéral a révélé une différence fondamentale entre les politiques socio-économiques de la droite et de la gauche.
Parallèlement au démantèlement de l’État-providence, la droite a offert aux classes défavorisées des mécanismes qui leur ont fourni des substituts aux services sociaux qui avaient été coupés et privatisés. Ces mécanismes de compensation ont assuré le soutien continu des classes populaires à la droite et à ses politiques.
La gauche, en revanche, s’est contentée de critiquer les résultats de la politique de privatisation qu’elle avait promue mais s’est abstenue d’aider ses victimes à faire face à ses injustices. De plus, la gauche s’est même définie par opposition aux mécanismes de compensation de la droite. Cette combinaison était la version israélienne du « néolibéralisme progressiste ».
C’est pourquoi la question se pose également, que doit faire la gauche israélienne pour devenir une « vraie gauche » ?
Pour lutter contre la privatisation, l’extrémisme, l’occupation et le populisme, la gauche doit offrir aux classes défavorisées une alternative aux mécanismes de compensation de la droite sous la forme d’un État-providence garantissant des services sociaux publics diversifiés et gratuits pour tous.
Autrement dit, pour combattre la droite, la gauche doit passer du néolibéralisme au socialisme. Cependant, en raison de sa dépendance aux votes des classes établies, les partisans de la privatisation, la gauche a, jusqu’à présent, été réticente à se battre pour un État-providence, c’est-à-dire contre les paiements parentaux dans l’éducation et l’assurance maladie privée, par exemple. Agissant ainsi elle renforçait les mécanismes de compensation de la droite et renforçait son alliance avec les classes défavorisées.
Le piège néolibéral de la gauche est donc le facteur qui empêche le changement des rapports de force politiques en Israël et perpétue le règne de la droite.
Si elle veut gagner sur la droite, la gauche doit briser le cycle néolibéral du mal, et pour cela elle doit se distancer des élites auxquelles elle fait appel, c’est-à-dire de ses électeurs prestigieux. La dépendance aux classes établies est la source de l’enfermement néolibéral. Pour s’en libérer, la gauche doit se tourner vers les classes défavorisées, vers les périphéries sociales et géographiques, et gagner leur confiance par une lutte commune, changer la politique économique et sociale du néolibéralisme au socialisme démocratique.
Quiconque regarde la réalité politique en Israël reconnaît facilement ce qui est presque totalement absent du discours politique jusqu’en 2022: les questions sociales et économique, et surtout une question centrale – l’inégalité des chances entre les riches, les aisés et tous les autres.
Si toutes les parties ont la même attitude sur la question économique, alors il n’y a pas grand intérêt à s’en occuper, et il vaut mieux se concentrer sur les questions où il y a des divergences entre elles.
Si un parti offrait un programme socio-économique différent des autres, différent de la situation existante, peut-être qu’un environnement pour le discours de justice sociale se développerait – mais à ce jour, un tel parti n’existe pas, ni Meretz, ni le parti travailliste! Ils ont tous oublié leurs luttes sociales….
La raison possible de l’absence d’un discours économico-politique est plus profonde : le public n’est peut-être pas vraiment intéressé par les inégalités. Mais ce serait un peu étrange: la réalité socio-économique est le principal enjeu dans la plupart des pays du monde, et cède lorsque les politiciens réussissent à détourner l’attention du public d’elle.
Dans la plupart des pays du monde, « gauche » et « droite » font référence à la politique économique et non aux questions de relations avec les minorités et les ennemis.
Lorsqu’un dirigeant de droite est élu, on s’attend à une baisse des impôts et qu’il travaille pour le secteur des entreprises.
Lorsque le vainqueur est un représentant de la gauche, le public s’attend à ce qu’il élargisse le filet de sécurité sociale et les institutions sociales.
Ce dernier veut toujours « tout à la fois ».
À la fois des impôts bas et un large filet de sécurité sociale dans le style de l’Europe du Nord.
À la fois préoccupation pour les faibles et vie confortable pour les entreprises et les propriétaires d’entreprise.
Apparemment, le public israélien n’est pas dupe.
Il reconnaît l’inégalité économique en Israël. Il sait que les riches bénéficient de conditions de travail et d’opportunités que d’autres n’ont pas – mais d’un autre côté, jamais il ne sort pour manifester, pour changer sa réalité. Il semble parfois que l’opinion publique israélienne ait adopté le mot d’ordre des capitalistes: tant que la situation de chacun s’améliore, y compris celle des faibles, il est interdit de traiter des questions de classes socio-économiques, et certainement pas de la taxation du capital et des riches – parce que ceux-ci conduiront Israël à une forme de communisme.
Mais ce n’est pas vrai!
Les humains sont très sensibles aux inégalités, s’ils les voient sous leurs yeux et en font l’expérience de première main, ils se mettent vraiment en quatre – et les études le prouvent.
Alors pourquoi n’en parle-t-on pas dans la politique actuelle ?
Réponse: nos politiciens ont appris à en détourner l’attention du public, en mélangeant leurs passions autour d’autres questions: Juifs contre Arabes, religieux contre laïcs, un tribunal fiable contre un tribunal asservi, l’annexion contre l’option de deux États, et au cours de la dernière décennie – « Oui Bibi » contre « Non Bibi ».
Pour les politiciens, ce sont des questions plus faciles à traiter.
Ce sont des problèmes émotionnels sur lesquels il est facile de mobiliser les gens pour agir, et ils permettent aux politiciens de prendre l’argent et les faveurs des capitalistes d’une main et s’occuper de « justice sociale » de l’autre. Un politicien qui promouvrait un agenda d’une répartition économique différente et lutterait contre les inégalités ne pourrait pas occuper ces deux positions en même temps. Et voici l’omission: la majorité du public pense que le grand échec de la politique israélienne est l’incapacité des 120 membres de la Knesset à coopérer créant, ainsi, un gouvernement efficace et fonctionnel. Mais un échec tout aussi grand est le manque de diversité dans les positions socio-économiques et le succès des membres de la Knesset à faire taire ce débat.
Au résultat: l’inégalité fait mal à ceux qui ont moins et elle continuera à faire mal, à se propager même après ces dernières élections avec la mise en place d’un gouvernement purement de droite.