Selon nos Maitres, la Techouva (le repentir) aurait été créée avant le monde, avant toute présence humaine car l’Homme a été créé faillible: «Il n’existe pas de juste sur terre qui fasse le bien sans jamais fauter». Aucun être n’est exempt d’erreurs, d’où la nécessité d’un retour à soi, sorte d’issue de secours. Le repentir sincère n’est pas un simple devoir : il est la source même de tous les devoirs qui plus est d’un devoir devenu Vertu ! Se repentir implique une tension constante et perpétuelle de la personnalité vers le bien. Il constitue, d’une certaine manière, la conscience de l’effort, nous prouve la gravité essentielle de l’acte et la nécessité de l’apprécier avec le plus grand des sérieux, de nous y consacrer au quotidien de notre existence et de nous repentir comme si ce jour était le dernier. Le Mal est le Mal, ce n’est pas la législation qui le génère, le Mal est Mal en substance, que nous le concevions ou non.
La Techouva est cette opération qui nous autorise à nous débarrasser de tout ce Mal qui nous pressure sans jamais faiblir et nous concède le droit au Retour. Mais elle est plus que cela, le terme reste intraduisible en Français si ce n’est par les vocables de retour, de réponse et de repentir.
S’il s’agit d’un retour, c’est qu’on a fait fausse route et qu’il faut revenir sur soi, réparer ce qu’on a détérioré.
Si on peut détériorer, on peut également réparer. C’est donc un processus a posteriori de l’âme. Ce n’est guère très avisé de chanceler et de se rétablir pour récidiver. Ce qui serait appréciable serait de ne jamais vaciller, de demeurer toujours droit et simple.
Le Repenti est un homme en mouvement qui s’offre dans une dynamique de l’effort. Il peut certes n’être pas pleinement éthéré, être encore maculé de boue, mais cela ne lui ôte point son état de «ba’al techouva». Ce concept constitue le dynamisme fondamental d’une personne autant que de la nation.
Rabbi Moché ‘Haïm Luzato soutenait que le Monde et l’Homme avaient été conçus bien bas, mais à la faveur de la Techouva, ils accédaient à une dimension spirituelle et morale très supérieure. Celle-ci avait donc la capacité de propulser l’Homme des gouffres ténébreux de l’être vers les pinacles de la lumière.
Dans son chapitre capital sur les Lois concernant la Techouva, Maïmonide écrit : «Du fait que le libre arbitre est attribué à chaque être, tout individu doit s’efforcer de se repentir en confessant ses erreurs oralement, et se libérer ainsi de ses fautes.» Nous remarquons que le Rambam marie ici le Repentir et le Libre-arbitre car selon lui, être une personne libre, c’est être une personne garante de ses faits et gestes, être l’homme du Retour. Il présente la Techouva comme une tension constante et non comme une directive absolue car elle figure l’effort incessant, et non l’acte ponctuel. Nous n’achèverons pas de si tôt ce mouvement, nous resterons à tout jamais pris et entrepris par cette dynamique de la perfectibilité.
Davantage d’ouvrages et d’amélioration, quel que soit le niveau de félicité où nous soyons au moment de notre mis en marche vers la Techouva. Elle demeure une symphonie inachevée qui nous laisse désirer toujours plus, à l’infini, une incomplétude qui ne doit pas être une cause de déception. Bien au contraire, la déception la plus grande serait de voir l’arrêt prématuré de cette dynamique. Comment exister et s’améliorer dans une société sans challenge, sans adversité?
Le Rav Kook dans son mémorable ouvrage «Les lumières du retour», affirme que dans la mesure où la Techouva n’est pas uniquement un mouvement négatif, un mouvement a posteriori qui nous grandit du mal vers le bien, mais aussi une impulsion qui nous élève de la médiocrité à la dignité. On peut être un homme «bien», qui n’a jamais rien fait de mal, tout en étant petit alors qu’il aurait des potentialités pour être beaucoup plus grand. Ce manque sollicite lui aussi une Réponse à soi, le Juste, sans souillures, peut lui aussi aspirer au plus éminent. D’après le Rav, ce deuxième type de Retour serait plus vrai que le premier.
Cette tension vers le bien illustre son potentiel : la Techouva est précisément ce stimulus ascendant et actif vers le bien qui œuvre sans discontinuité. Le mouvement perpétuel d’éveil par lequel nous mettons inlassablement en lumière ce que nous sommes est l’entendement de soi, ce dernier est un état d’examen constant de tout ce qui m’arrive et pas exclusivement une attention qui me relie à l’extériorité. Il ne peut pas reposer sur une dichotomie entre un sujet/objet, parce qu’il n’est pas en réalité l’aboutissement d’une pensée introspective sur soi.
Considérer sans blâmer, sans désavouer, n’engendre point de séparation, le regard clairvoyant se maintient dans l’unité du sentiment. L’entendement de soi n’est pas une forme d’auto-analyse où le moi se diviserait en moi-juge/moi-condamné, ce qui caractérise l’introspection. Lui c’est plutôt l’examen de soi, ce sont donc deux choses très différentes, contrairement à ce que la tradition réflexive a pu croire dans la philosophie occidentale. Cette évaluation n’est pas une manière de se recroqueviller sur son moi, une forme de narcissisme mental qui prétend jauger et condamner les indigences ou les corrections du moi. Elle est une entière attention, une sollicitude respectueuse, une sollicitude sans raison, une vigilance non-divisée à ce qui est, à ce qui laisse se déployer l’expression consciente de l’être.
Or, ceci vaut aussi pour l’Humanité entière dont la Torah nous décrit pourtant les préludes dramatiques et laborieux. Ceci est tout aussi juste pour la Nation d’Israël qui, après sa naissance, traverse de nombreuses crises et tout aussi vrai pour un Etat d’Israël renaissant, devant surmonter encore énormément de souffrances avant de parvenir à une pleine maturité nationale. Cela intéresse indubitablement l’être humain qui, tout en tombant quelquefois, se perfectionne inexorablement depuis son enfance vers un plein et entier accomplissement de son être. Car même si l’on ne peut éviter les embuches et les obstacles, l’essentiel reste, en fin de compte, d’arriver à maitriser l’épreuve pour en ressortir grandi.
Ce que nous cherchons dans la Techouva n’est pas dans l’ordre des choses, mais dans l’ordre de la Plénitude de la conscience, ce que nous cherchons en vérité, c’est nous-mêmes. Nous voulons guérir l’ancienne blessure qui fait que le moi est coupé de son origine et condamné à errer en ce monde sans y trouver de satisfaction. Nous cherchons non pas une étreinte fusionnelle avec un autre, mais une réconciliation totale avec Soi, car c’est dans la réconciliation pleine avec Soi que gît la Plénitude.
Le monde du Retour n’est donc pas celui de la naturalité, mais c’est le monde des aspirations d’un être humain qui est en quête de sa Divinité.
L’Humanité n’est pas assignée à vivre jusqu’à la fin des temps dans la faute ou dans l’erreur. Le premier homme n’était pas destiné à faire une faute, tout notre labeur présent consiste à nous élever des méandres du mal et à s’introduire dans le bien, c’est un enseignement préparatoire et consistant à rétablir les choses en état, à revenir à la situation d’Adam le premier homme avant la faute et à pouvoir commencer à travailler profondément, à se hisser et pas uniquement à tenter de sortir du gouffre. Cette Techouva du petit vers le grand, est la véritable Techouva et nous utilisons pour le moment cette impulsion de l’âme pour réparer aussi les dommages. Mais elle n’est pas nécessairement un reniement, elle peut et doit être un mouvement perpétuel.
D’après la lecture de la Kabbalah, la Techouva est cette Vitalité Divine qui vibre à l’intérieur de l’Homme et l’engage encore et toujours plus loin, plus haut. C’est le Retour, pas fatalement vers ce qu’il fut dans sa démarche personnelle avant d’être tombé, c’est le Retour vers ce que l’Homme fut dans l’esprit du Créateur, vers ce que l’Homme devait devenir dans son idéal le plus naturel.
Nos maitres nous enseignent que: «Le fœtus dans le ventre de sa mère a une connaissance globale du monde; cet être qui n’est pas encore né, voit toutes les réalités, connaît toute la Torah et une fois sorti dans ce monde-ci, un ange se charge de lui faire tout oublier. Un portrait de l’homme dans son essence la plus profonde, dans sa pureté d’origine nous est ici présenté.
Lorsque l’homme est révélé à la nature, sa rencontre avec la difficulté de l’existence humaine lui fait aussitôt désapprendre ce qu’il fut.»
La Techouva est le Retour à notre quintessence, à ce que nous fûmes avant d’être. Souvent nous nous servons d’elle pour mieux nous sortir des abimes dans lesquels nous sommes engloutis et pouvoir enfin souffler.
La Techouva aide aussi à réaliser cette transition du mal au bien, mais elle demeure foncièrement une impulsion perpétuelle, incommensurable, jamais finie puisqu’on n’a jamais terminé ce long cheminement vers son être le plus profond.
Il est certain que le monde dans lequel nous vivons présentement comprend une incontestable quantité de maux et qu’il se trouve détourné de l’être fidèle au Projet Divin; notre implication consiste précisément à faire en sorte de modifier ce monde ci en un monde qui devient. Pour le moment, celui qui vient nous parait le summum de la perfection, mais lorsque nous y parviendrons, nous constaterons qu’il existe un couronnement plus éminent. D’après le Maharal, le terme exemplaire, ne saurait s’appliquer à l’homme; l’homme est un être qui aspire inlassablement à l’idéal absolu, «l’être en devenir» dirait Bergson.
L’Histoire est continuellement traversée par le Souffle Divin, il soutient l’homme dans ses progrès, l’aide à se hisser aux faîtes de la spiritualité et de la morale. Après avoir créé le monde, D.ieu n’a pas déserté, s’il est vrai que la Techouva résulte principalement de l’effort humain, cet effort est une exhortation au bien, soutenu par l’Esprit Divin qui nous apostrophe régulièrement.
Raison pour laquelle, la Techouva n’a aucune équivalence avec les concepts de pénitence, de neutralisation ou d’écrabouillage de la personnalité mais elle a tout à voir avec un puits d’allégresse, de puissance et de plénitude.
Il est cependant indispensable d’être prémuni d’une sérieuse quantité d’audace et de résolution pour s’investir dans ce chemin qui est celui du bonheur, de la lumière et de l’espoir, pour le monde intérieur de l’être, comme pour le monde universel.
Ce n’est en effet qu’à travers la Techouva que l’on peut apprécier la vie dans son authentique plénitude. Bien sûr, cela ne signifie pas que notre seule intention de faire Techouva soit ce seul espoir au bonheur, mais surtout l’aspiration de faire le bien et d’honorer le Dessein Divin. C’est aussi l’amour de la véracité et la volonté d’être lié intimement au Projet de D.ieu qui constituent une assurance de bonheur pour l’Humain et pour l’Humanité tout entière.
Celui qui possède une écoute attentive, perçoit distinctement la cacophonie de ce conflit universel entre la lumière et l’obscurité.
Il s’affermit dans sa propre lutte intérieure, au travers ses propres énergies positives et négatives confinées en lui. Lorsque chacun des êtres humains, chacune des nations aura produit sa flamme particulière en participant au grand bouquet collectif de lumière, l’éclat envahira l’univers.
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