Peut-on être un bon juif sans se soucier de justice sociale ? La plupart d’entre nous verraient cela comme une contradiction dans les termes. Les études révèlent qu’une majorité d’entre nous considèrent que « travailler pour la justice et le droit » est essentiel à leur identité “Israël”. Ils mettent particulièrement l’accent sur le concept de “tikoun olam” (réparer/guérir le monde) ; beaucoup le considèrent comme leur principale pratique juive. Cette focalisation est souvent critiquée, notamment par le monde orthodoxe. Dans une attaque cinglante, intitulée “l’illusion fallacieuse d’un mythe : réparer le monde”, Mr le rabbin x écrivit :
“”Ce n’est pas du tout une tradition vieille de plusieurs siècles… et ce n’est pas un commandement. Et pour être clair, Tikoun Olam ne signifie même pas réparer le monde dans le sens de la justice sociale… Nous ne pouvons pas, et nous n’avons pas pour instruction de sauver le monde, ni même de le réparer. Le judaïsme n’enseigne rien de tel. Il nous est plutôt demandé de nous comporter correctement, d’observer les Mitsvot, les Commandements… et de contribuer ainsi à la société et à la civilisation…”
Cette personne a raison sur un point : seul un judaïsme ressuscité, revivifié, pouvait transformer le sens originel de “tikoun olam”. La Bible a beaucoup à dire sur la justice, le droit, les valeurs et les vertus, l’apport du bon, du bien et du beau dans le monde, au vu et su de l’ensemble de l’humanité, à travers la pleine et entière existence d’Israël, certes, elle ne mentionne pas le concept en lui-même, mais l’injonction y est ! Dans la Mishna du traité Guitin, le terme est mentionné en relation avec une série de règlements modifiés par les présidents du Sanhédrin en Israël, Hillel l’Ancien, et principalement par son arrière-petit-fils, le rabbin Gamaliel l’Ancien. Il apparaît pour la première fois dans la Mishna, vers l’an 200 de notre ère, sa signification était une amélioration constitutionnelle du mode de vie d’Israël et de l’humanité. Dans notre contexte, cela semble traduire une volonté de mieux et de meilleur quant au maintien de l’ordre social. Les Sages ont utilisé cette expression pour justifier une série d’ajustements législatifs relativement modestes, corrigeant des défauts qui autrement menaceraient la stabilité du système juridique dans son ensemble. Préserver l’ordre social actuel peut donc ressembler à une démarche traditionnelle et politiquement conservatrice. Il convient toutefois de noter que la majorité de ces cas rabbiniques impliquent la protection d’une personne ou d’un groupe de personnes se trouvant généralement au bas de l’échelle sociale.
Il s’agit de la première étape de l’étrange histoire du “tikkun olam” – une série de modestes ajustements techniques de la loi rabbinique, dans lesquels on pourrait déceler une orientation quelque peu novatrice.
La deuxième étape se trouve dans une prière familière – le “Aleinu”, chanté vers la fin de chaque prière dans le culte juif. Dans le deuxième paragraphe, nous trouvons écrit ceci:
“”C’est pourquoi nous espérons en Toi, Eternel, notre Dieu, de voir bientôt la gloire de Ta puissance, balayant l’idolâtrie afin que les faux dieux soient complètement détruits, pour ‘réparer le monde sous la souveraineté du Tout-Puissant’ [tikoun olam bemalkhut Shaddai] afin que tous les êtres humains invoquent Ton Nom et ramène à Toi tous les mécréants de la terre”.
Cette prière regarde vers un avenir où il y aura une reconnaissance universelle de Dieu ; le monothéisme englobera toute la terre. C’est l’acte de réparer/améliorer le monde qui permettra d’atteindre le but affirmé à la fin de la prière, selon les mots du prophète Zacharie : “Ce jour-là, dieu sera Un et son nom sera Un”.
Notons deux choses : premièrement, la « réparation » du monde décrite dans cette prière ne sera pas accomplie par nous, mais par dieu. “Aleinu” n’est pas un appel à l’action humaine – c’est un appel à Dieu pour qu’il agisse. Secundo, la « réparation du monde » décrite ici n’a que peu de rapport avec notre programme contemporain de “justice sociale”. La prière ne parle pas d’éliminer la pauvreté, l’intolérance, la maladie ou la guerre. Nous pourrions imaginer que ces maux ne seraient pas présents dans un monde dans lequel la Présence divine serait manifeste à tous, mais le texte ne le dit pas explicitement.
La troisième étape de l’évolution du “tikkun olam” vient des travaux du kabbaliste Isaac Luria au XVIe siècle. Luria a enseigné à ses disciples que des fragments et des étincelles de la lumière divine étaient enfouis même dans les coins les plus sombres de l’univers, et que lorsque les Juifs exécutent les commandements divinement donnés, ils peuvent exhumer les étincelles, les restaurer à leur source et littéralement aider à restaurer le monde brisé. Mais dans la Kabbale lurianique, la tâche de « sauver les étincelles de lumière » ne devait pas être accomplie par ce que nous appellerions les commandements éthiques, comme nourrir ceux qui ont faim ou soigner les malades. Au lieu de cela, l’accent était mis sur l’étude, la prière et les rituels.
L’idée de « réparer le monde » tel que nous l’entendons aujourd’hui – un vaste mandat consistant à s’engager dans des actes de service et de justice sociale – est née très récemment, au cours des 50 dernières années environ. Cela semble être un exemple de versement de vin nouveau dans un vieux récipient – à ce que nous appelons aujourd’hui « réutiliser » un terme de l’Antiquité et lui donner une signification contemporaine radicalement différente.
À mon avis, c’est quelque chose qu’il faut célébrer. Avant l’indépendance et la souveraineté de l’État d’Israël, la communauté juive en exil était étroite et circonscrite ; les notions juives comme faire le bien étaient nécessairement modestes, centrées sur l’intérieur, sur la famille immédiate et la communauté, se contentant d’améliorer son propre petit coin d’existence. “Tikkun olam”, tel que la nation d’Israël le repense, est audacieux et ambitieux, tourné vers l’extérieur, tourné vers l’avenir, axé en grande partie sur des préoccupations sociétales répondantes très certainement à l’Idéal hébraïque. Cela repose sur une idée optimiste selon laquelle Israël participe pleinement à la culture, à l’éducation, au sens le plus large du terme, elle se joint aux États, aux nations et à d’autres, de toutes races, religions et croyances, pour prendre soin du monde.
Aujourd’hui, le “tikkun olam”, dans son sens moderne, a été adopté par les membres de tous les courants du judaïsme. Par exemple, le rabbin Jonathan Sacks zal, modèle de l’orthodoxie dominante, avait écrit ces paroles passionnées dans une missive intitulée : “Guérir un monde fracturé”:
“”Il peut y avoir de la pauvreté à chaque époque, mais cela n’en fait pas la volonté de Dieu pour le monde. Il peut y avoir de l’injustice, mais nous ne pouvons pas rester silencieux face à elle… Réparer le monde implique la reconnaissance du fait que le monde a besoin de soins, plutôt que l’acceptation stoïcienne ou le déni ascétique… Tant qu’il y aura la faim, la pauvreté et des maladies traitables dans le monde, nous avons un travail à faire. Tant que les nations se battent, que les hommes haïssent et que la corruption rôde dans les couloirs du pouvoir ; tant qu’il y aura du chômage et des sans-abris, de la dépression et du désespoir, notre tâche ne sera toujours pas terminée”.
Comment puis-je oublier les Paroles de la chanson des “Restos du Cœur” initiées par Michel Colucci, dit Coluche et écrites par Jean Jacques Goldman :.
“Moi, je file un rancard A ceux qui n’ont plus rien, sans idéologie, discours ou baratin, on vous promettra pas les toujours du grand soir mais juste pour l’hiver à manger et à boire, A tous les recalés de l’âge et du chômage, les privés du gâteau, les exclus du partage si nous pensons à vous, c’est en fait égoïste, demain, nos noms, peut-être grossiront la liste. Aujourd’hui, on n’a plus le droit ni d’avoir faim, ni d’avoir froid, dépassé le chacun pour soi, quand je pense à toi, je pense à moi, je te promets pas le grand soir, mais juste à manger et à boire, un peu de pain et de chaleur, dans les restos, les restos du cœur, aujourd’hui, on n’a plus le droit, ni d’avoir faim, ni d’avoir froid. Autrefois on gardait toujours une place à table, une chaise, une soupe, un coin dans l’étable, aujourd’hui nos paupières et nos portes sont closes, les autres sont toujours, toujours en overdose. J’ai pas mauvaise conscience, ça m’empêche pas d’dormir, mais pour tout dire, ça gâche un peu le goût d’mes plaisirs, ce n’est pas vraiment ma faute si y’en a qui ont faim, mais ça le deviendrait, si on n’y change rien. J’ai pas de solution pour te changer la vie, mais si je peux t’aider quelques heures, allons-y, y a bien d’autres misères, trop pour un inventaire, mais ça se passe ici, ici et aujourd’hui”.