Les cris de mon cœur pour mon peuple et ma terre : Israël est une nation, pas une religion. Il est temps de revenir à l’hébraïsme souverain ! Par Rony Akrich

by Rony Akrich
Les cris de mon cœur pour mon peuple et ma terre : Israël est une nation, pas une religion. Il est temps de revenir à l’hébraïsme souverain ! Par Rony Akrich

Pendant des générations, on nous a appris que le judaïsme est une religion, un ensemble de lois privées, de croyances abstraites, de rites symboliques et de prières personnelles. Ce discours n’est pas né d’une vérité historique, mais d’une conscience en exil, amputée de son centre : la terre, le peuple, la langue. La culture chrétienne-européenne, profondément enracinée dans la pensée occidentale moderne, a réinterprété le judaïsme à sa manière : comme une foi privée, déterritorialisée, dépolitisée et suspendue entre ciel et âme. Cependant, la Bible hébraïque, source de l’identité juive, raconte une histoire bien différente : non pas une religion, mais une alliance historique, morale et souveraine.

« Je vous prendrai pour mon peuple… et je vous donnerai le pays de Canaan » (Exode 6 : 4-7).

C’est un accord politique entre une divinité historique et un peuple de chair, de mémoire et de langage. Il n’est ni mystique ni céleste, mais une directive pour construire une société juste sur une terre concrète. Le message biblique n’est pas mystique. Il est existentiel, collectif et juridique, et même politique.

« Vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte » (Exode 19, 6).

Il ne se rattache pas à une « communauté religieuse », mais plutôt à un royaume, rassemblant un peuple unifié, structuré, doté de sa propre législation, de son calendrier, de son territoire, et poursuivant un idéal de justice. Le rav philosophe Yehouda Léon Ashkenazi (Manitou) l’a parfaitement résumé ainsi : « La foi juive n’est pas une religion, mais un mode de vie propre à une nation, qui se concentre sur l’histoire et la société, et non sur leur évasion. » La relation entre Dieu et Israël ne se limite pas à une expérience spirituelle intérieure. Elle constitue également une charte existentielle et un code de conduite pour la vie publique.

Le shabbat, souvent considéré comme un simple jour de repos, est en réalité imprégné d’une tension fondatrice de la vision hébraïque du monde. Cette tension est manifeste dans les deux versions du Décalogue, qui se trouvent dans les sections bibliques Yitro et Vaet’hanan, et qui mettent en évidence les deux aspects essentiels du septième jour. Dans Yitro (Exode 20, 8-11), il est écrit : « Souviens-toi du jour du Shabbat pour le sanctifier… Car en six jours l’Éternel a créé le ciel, la terre… »

Le shabbat revêt ici une dimension cosmique, évoquant la Création. Il ancre l’homme dans un ordre cosmique. La consigne est exprimée à travers le verbe « Zakhor », qui signifie « souviens-toi ».

Dans le livre du Deutéronome, chapitre 5, versets 12 à 15, on lit : « Respecte le jour du repos hebdomadaire… Souviens-toi que tu as été esclave en Égypte »

Ici, le Shabbat est historique et politique : il est mémoire de l’esclavage et célébration de la liberté. Le mot « Shamor » — qui signifie « conserver » — est utilisé pour mettre l’accent sur l’importance de rester alerte. Il garantit à chacun le droit au repos, sans discrimination.

Les sages affirment que « Shamor veZakhor beDibur eḥad » — Garde et souviens-toi ont été prononcés en une seule phrase. Ainsi, le Shabbat établit un lien entre le divin et le terrestre, le spirituel et le social, la création et la libération. Le Shabbat est à la fois une action métaphysique et un manifeste éthique contre l’aliénation, la consommation et l’indifférence envers les faibles.

Abraham Joshua Heschel l’exprime ainsi : « Le Shabbat n’est pas seulement un repos ; c’est une protestation morale contre l’oppression. »

Le temple, lui, n’est pas une cathédrale silencieuse. Il est le cœur juridique et moral de la nation, d’où émerge un ordre social juste :

« De Sion sortira la loi, et de Jérusalem, la parole de l’Éternel » (Isaïe 2,3)

Après la destruction du Second Temple, l’Hebraisme perdit son ancrage national. Pour survivre, les sages durent réinventer une autre formule: le judaïsme portable, une religion de textes, de lois et de prières. La synagogue remplaça le Temple, la halakha remplaça le droit public et l’espérance d’un retour se transforma en attente messianique. Isaïe Leibowitz distinguait clairement entre le judaïsme biblique, éthique nationale et souveraineté morale, et le judaïsme talmudique, caractérisé par des lois privées, des règles de pureté et d’impureté. Shimon Doubnov, historien du judaïsme moderne, a quant à lui évoqué une évolution vers une « religion de compassion », certes honorable, mais sans autonomie. Même les théologiens conservateurs n’ont pas considéré le judaïsme comme une simple foi.

Maïmonide affirme clairement que « le Messie restaurera la royauté de David dans sa gloire passée… Il reconstruira le Temple… et forcera tout Israël à suivre la Torah. »

(Lois des Rois, chap. 11)

Rav Avraham Itzhak Kook va plus loin : « La religion n’est que la lumière de la vie complète de la nation. Israël n’est pas un corps religieux, mais un peuple vivant. »

(Orot Hatehiyah, 35)

Ce fil conducteur, qui est rouge, se retrouve dans la pensée juive contemporaine.

Spinoza, dans son Traité théologico-politique, considère Moïse comme un législateur et la Torah comme une constitution nationale.

Martin Buber met l’accent sur l’alliance entre les hommes comme base du peuple juif, plutôt que sur un culte vertical.

Emmanuel Levinas écrit : « La foi juive n’est pas une adoration pour un Dieu abstrait, mais une responsabilité envers l’autre, ancrée dans l’histoire et non au-dessus d’elle. »

Selon Franz Rosenzweig, la Torah est une alliance d’amour qui représente une réponse libre à un appel éthique collectif.

Même David Ben Gourion, qui était profondément laïque, reconnaissait que la légitimité du projet sioniste reposait sur la Bible : « La Bible constitue notre charte. Sans elle, nous ne possédons aucun titre sur cette terre. » (discours à la Knesset)

Il est temps de laisser derrière nous la religion abstraite. Ce courant spirituel n’est ni isolé, ni ésotérique, ni axé sur l’individu. Il s’agit plutôt d’un projet collectif, éthique, politique et historique. Il ne s’agit pas d’attendre le Messie, mais de construire un monde. Ce n’est pas en récitant des prières qu’on peut y arriver, mais en contractant une responsabilité. De plus, on doit s’engager activement dans l’histoire, au lieu de la fuir. « Cette parole est tout près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique. » (Deutéronome 30, 14) L’hébraïsme est une alliance de vie, une souveraineté morale, une nation sainte. Pas une religion. Il représente la vocation d’un peuple-nation, visible pour tous les peuples comme une mesure étalon pour l’humanité.

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