Les haredim seront-ils dans la mêlée ? Rony Akrich

by Rony Akrich
Les haredim seront-ils dans la mêlée ? Rony Akrich

L’âpre controverse qui fait actuellement rage en Israël à propos de la refonte judiciaire du gouvernement ne concerne pas seulement ses projets visant à restreindre les pouvoirs de la haute cour de justice et à les soumettre à un contrôle politique accru.

Il s’agit du caractère de la société israélienne, savoir si elle restera libérale, démocratique et largement laïque – ou si elle deviendra plus fermée, moins tolérante et imprégnée de valeurs religieuses coercitives. À son immense inconfort, la communauté ultra-orthodoxe d’Israël se retrouve au centre de la controverse. Bien que l’opposition exprime principalement sa colère contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu, le ministre de la Justice Yariv Levin et le législateur Simcha Rothman –architectes de la refonte judiciaire – les ultra-orthodoxes (ou Haredim, comme on les appelle en hébreu) sont également ciblés. Les manifestants ont défilé dans les quartiers orthodoxes et se sont rassemblés devant les tribunaux rabbiniques dominés par les « Haredim », qui imposent à la population juive une forme draconienne de loi religieuse quant aux sujets relevant de leur compétence, parmi les plus controversées : les divorces et les conversions religieuses. C’est uniquement parce que les dirigeants de la contestation sont sensibles aux accusations de stigmatisation injuste des Haredim qu’il n’y a pas eu davantage de manifestations de ce type, déclarent-ils. Les politiciens ultra-orthodoxes des partis « Yahadout HaTorah », listes et factions ultra-orthodoxes ashkénazes composées des partis hassidiques « Agudat Israël » et Lituaniens « Deguel aTorah » et du parti « Shass », séfarade et ultra-orthodoxe, ont tous en commun le même intérêt : soutenir la refonte judiciaire principalement afin de se protéger et d’empêcher une décision de la Cour suprême ordonnant à leur jeunesse la conscription militaire.

Cependant, les « Haredim » n’ont guère été à l’avant-garde du mouvement, en fait, ils ont plutôt progressivement reculé. Lorsque la droite a organisé son premier grand rassemblement en faveur de la refonte judiciaire en mai, un important journal orthodoxe a mis ses lecteurs en garde : « quiconque y participe, n’est pas des nôtres, point final. » Dernièrement, le même journal a publié un éditorial appelant la coalition à renoncer complètement à la refonte judiciaire. Pourquoi ce manque d’engagement ? Est-ce la crainte de se retrouver en première ligne dans cette lutte pour la réforme ? N’est-ce pas une question essentielle pour eux ? Certes, mais un autre facteur et non des moindres inquiète les dirigeants « Haredim », ils craignent que nombre de leurs fidèles, les jeunes en particulier, s’impliquent de plus en plus dans la politique nationaliste, les éloignant de leur communauté et réduisant la mainmise de leurs rabbins et de l’orthodoxie religieuse sur eux. Pour ces communautés qui aspire à rester le plus possible à l’écart du monde laïc, participer à des manifestations, assister à des événements où hommes et femmes se mélangent, suivre les médias et prendre contact avec des militants non Haredim risque tous simplement de briser les murailles que ces dirigeants ont érigées autour de leurs congrégations.
Ils ont eu gain de cause : la participation des ultra-orthodoxes aux manifestations de droite est pratiquement inexistante. Mais les dynamiques et les tendances politiques, le marché du travail et la demande d’instruction générale suggèrent que l’influence des chefs religieux ne durera pas éternellement. Lorsqu’elle s’atténuera au point que les rabbins ne détermineront plus le comportement électoral de leurs partisans, l’influence des partis ultra-orthodoxes diminuera et la carte politique d’Israël pourrait être très différente.

La colère contre les ultra-orthodoxes a moins à voir avec leur soutien à la refonte judiciaire qu’avec ce qu’elle représente – une réforme extrême de l’identité d’Israël que les manifestants sont déterminés à empêcher. Les « Haredim » ne se contentent pas de pratiquer la religion, ils l’imposent, ils dénigrent les valeurs libérales d’autonomie personnelle, de démocratie et d’égalité. Du point de vue de l’Israël libéral (et de nombreux membres de la droite modérée), cela les place du mauvais côté sur presque toutes les questions sociétales : l’égalité des sexes, les droits des LGBT, la religion et l’État…. Ce qui est encore plus inquiétant, du point de vue des manifestants, est le pouvoir politique des ultra-orthodoxes qui s’est considérablement accru au cours de la dernière décennie, à mesure que leurs partis offraient une allégeance indéfectible à Benyamin Netanyahu en particulier et à la droite en général.

Aujourd’hui, ils sont plus puissants que jamais. La coalition gouvernementale ne contient aucun parti centriste pour mieux équilibrer les forces en présence, ce qui offre aux politiciens « Haredim » une énorme maîtrise de la scène politique et les possibles promotions de leurs programmes comme de leurs idéaux. Ils ont, non seulement gagné des sommes d’argent sans précédent grâce au nouveau budget de l’État pour leurs établissements d’enseignement privé, mais ils se lancent également dans une législation qui consacrerait l’exemption de leurs jeunes hommes de toute conscription militaire à travers une loi fondamentale, qui jouirait d’un statut constitutionnel, empêchant ainsi la Cour suprême d’intervenir. Ils cherchent également à donner davantage de pouvoirs aux tribunaux rabbiniques, et ce afin d’étendre les lois existantes, ils ont légiféré contre l’incitation au racisme, pour y inclure « la communauté ultra-orthodoxe », et nombre d’autres lois.
Grâce à la démographie, la croissance du pouvoir politique « Haredi » semble imparable.

Le Bureau central des statistiques estime que la part des ultra-orthodoxes est passée de 10 pour cent de la population israélienne en 2009 à 13 pour cent l’année dernière. D’ici 2042, ils représenteront près de 21 pour cent, et d’ici 2062 près d’un tiers. Il est peu probable que ces prévisions ne se réalisent pas comme prévu. Toutefois, à moins d’une improbable révolution religieuse entraînant un taux d’abandon massif de la communauté, il est difficile de voir comment sa part de la population ne continuera pas à croître rapidement. Le système israélien de représentation proportionnelle – qui donne du pouvoir aux minorités grâce à un faible seuil d’entrée à la Knesset de seulement 3,25 % des voix au niveau national –, associé à la tradition de vote discipliné de la communauté, renforce le pouvoir politique des « Haredi » au-delà des chiffres bruts.
Cependant, la démographie est une arme à double tranchant : source d’un pouvoir politique accru, mais aussi de détresse économique. La société Haredi est inhabituelle non seulement par son taux de natalité élevé, mais aussi par le système de valeurs qu’elle a développé au cours du dernier demi-siècle, qui place l’étude des textes religieux (Talmud) au centre de la vie de la communauté. On s’attend à ce que les hommes évitent l’éducation laïque, le service militaire et les emplois rémunérateurs. S’ils trouvent du travail, c’est souvent dans des emplois peu rémunérés et peu qualifiés – les seuls que leur offre leur éducation laïque limitée.

Ironiquement, le fait que les femmes soient considérées comme des citoyennes d’un autre ordre, celles-ci sont autorisées à acquérir un minimum de compétences professionnelles à l’école afin de pouvoir subvenir aux besoins de leur famille après le mariage. Mais comme les hommes sont formés aux études religieuses et encouragés à poursuivre leurs études jusqu’à l’âge adulte, seule un peu plus de la moitié des hommes adultes sont sur le marché du travail, contre 89 % pour leurs homologues juifs non-haredi. Le taux de pauvreté est deux fois plus élevé que celui de la population générale.

L’augmentation de la population ultra-orthodoxe pèse lourdement sur l’économie israélienne. Les hommes qui fuient le travail contribuent peu ou pas du tout à l’assiette fiscale tout en bénéficiant d’allocations et de subventions gouvernementales. Leurs familles nombreuses et leur population en croissance rapide pèsent sur le système de santé, les infrastructures et l’offre de logements. Mais les efforts du gouvernement pour encourager les Haredim à suivre une éducation plus laïque, notamment en mathématiques, en sciences et en anglais, se sont heurtés à une forte résistance de la part des dirigeants communautaires et des politiciens. Les ultra-orthodoxes comptent sur l’aide financière du gouvernement sous la forme d’allocations pour les étudiants de la yeshiva (séminaire religieux) et d’une corne d’abondance d’avantages fiscaux, de subventions et d’emplois de fortune. À suivre…

Rony Akrich

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