L’étoile de la rédemption (Franz Rosenzweig). Par Rony Akrich

by Rony Akrich
L’étoile de la rédemption (Franz Rosenzweig). Par Rony Akrich

Franz Rosenzweig est un philosophe allemand (Kassel 1886-Francfort-sur-le-Main 1929).

D’abord hégélien, tenté par la conversion au christianisme, il décide de rester juif après l’office de Yom Kippour, en 1913.

Son œuvre principale, l’Étoile de la Rédemption (1921), assigne deux places concurrentes et complémentaires aux deux religions : le peuple juif propose une image intemporelle de la Rédemption, les chrétiens sont chargés de la faire advenir au monde. Cette œuvre marqua profondément Martin Buber, Gershom Scholem, Erich Fromm, Emmanuel Lévinas.

L’Étoile de la rédemption est le grand livre de Rosenzweig, où il expose systématiquement sa réponse philosophique à la vie. Il y décrit la révélation comme « une occurrence conversationnelle du langage ». Il est divisé en trois parties, « les éléments, le chemin et la forme », qui peuvent être plus complètement décrites comme le monde éternel transcendant.

« Toute connaissance de l’univers commence avec la mort, avec la peur de la mort ».

« Contre les philosophes » est le sous-titre des « Éléments ». Dans la pensée ancienne, les philosophes avaient essayé d’étouffer le cri de mort en eux-mêmes en considérant leur existence fondamentale, en recherchant l’essence éternelle de leur être. Mais Rosenzweig décrit cette façon de penser comme profondément malade. Il ne veut pas éviter la mort en tant qu’expérience de la réalité et ne s’interroge donc pas sur la nature essentielle, mais sur la nature réelle.

Sa « nouvelle pensée » commence par l’expérience de la réalité des éléments : Dieu, le Monde, l’Humanité. Il ne s’interroge pas sur leur essence, pouvant ainsi facilement surmonter le problème du temps et de la mort. Une nouvelle pensée consiste à connaître, à reconnaître ce que font Dieu, le Monde et l’Humanité ou ce qui s’y passe dans le temps et dans la réalité.

Ce n’est pas le but mais les éléments factuels, le périmètre toujours existant, le point de départ empirique de sa pensée.

Rosenzweig s’intéresse aux relations entre les éléments.

Son point central est le concept de révélation comme véritable miracle biblique de la foi, dont une théologie, lassée des miracles, a tenté de se démarquer. Son sous-titre ici est donc « Contre les théologiens ». Il développe ici le concept de révélation dans la grande triade : passé présent futur.

Dans la création, Dieu se révèle dans des actes qui sont toujours déjà là avant moi. Dans le présent, Dieu se révèle à proprement parler en nous rencontrant comme parole vivante, comme revendication et offre d’amour.

Dans le futur, Dieu promet la révélation comme rédemption.

La personne expérimente alors la révélation comme une relation dynamique, le chemin par lequel Dieu passe de la création à la rédemption en passant par la révélation.

Ce grand drame mondial est raconté en trois temps, en réalité « raconté » uniquement dans le livre du passé.

Dans le livre du présent, le « récit » est repris par le dialogue direct.

Dans le livre du futur, le langage du cœur règne en maître, car l’individu ne peut saisir les choses du futur que dans la mesure où il est capable de dire « Nous ». Désormais, penser est remplacé par parler. « Penser est intemporel… parler est lié au temps et nourri par le temps. » Chez Rosenzweig, le philosophe dialoguiste devient le « penseur parlant ».

Il pose les questions suivantes :

Tout ce qui s’est passé dans le passé culmine-t-il uniquement dans le présent, au moment de la perception ?

N’y a-t-il rien qui donne une direction et un caractère à ce courant ?

Ne reste-t-il plus que l’instant non racheté ?

Pour cette dernière partie, Rosenzweig choisit comme sous-titre « Contre les tyrans ». Les royaumes actuels n’ont plus de forme parce que l’avenir rédempteur brille déjà dans le présent. Rosenzweig a vu se réaliser cette anticipation du royaume éternel dans les communautés de synagogue et d’église, dans leur alternance de vie quotidienne et de jour de repos, leur liturgie et leur cycle annuel festif. La synagogue et l’église ont leur fondement dans la révélation du nom de Dieu : « Je suis là et j’y serai ». (Ex 3:14)

Dans cette dernière partie de son livre, il s’interroge sur la vérité, cette pièce, la plus intime de la révélation, du nom de Dieu.

Pourtant, cette vérité doit être « différente de la vérité des philosophes… elle doit être la vérité pour tout le monde ».

La vérité doit devenir notre vérité. « La vérité n’est plus ce qui est vrai, mais devient ce dont il a été prouvé qu’elle est vraie. »

C’est là la tâche continue de la synagogue et de l’Église : prouver l’unique vérité de Dieu, cette vérité leur est donnée seulement comme vérité terrestre divisée. Ils le font dans la prière et les commandements, maintenant ainsi inassouvie la soif du royaume éternel de la rédemption au milieu des royaumes non rachetés de ce monde.

Chacun prie et vit selon la vérité à mesure que chacun reçoit et comprend.

L’Étoile de la Rédemption ne nous fait pas sortir de ce monde au-delà de la réalité. Il se termine plutôt par une sortie dans le monde avec la tâche de prouver la vérité dans le monde.

« À propos de la mort… » sont les premiers mots du livre. Rosenzweig part d’une réalité vécue de manière très personnelle.

« Dans la vie… » sont ses derniers mots. La vérité de la révélation conduit à la réalité de la vie lorsqu’elle est prouvée.

Après avoir terminé L’Étoile de la rédemption, l’auteur a estimé qu’il devait personnellement prouver la vérité et ne pas éviter la réalité en continuant à écrire des livres.

En 1920, Rosenzweig fonda « La Maison juive libre de l’enseignement ». Tous y étaient admis sans examen ni témoignage. Il était ouvert aux Juifs et aux non-Juifs et n’était lié à aucune secte du Judaïsme, mais au Judaïsme dans son ensemble. Lire des livres ou en écrire n’était pas censé devoir uniquement se consacrer à une étude. Rosenzweig souhaitait un nouveau type d’apprentissage, ce qu’il appelait « un apprentissage dans la direction opposée ». Il entendait par là « un apprentissage, non plus hors de la Torah pour entrer dans la vie, mais hors de la vie, hors d’un monde qui ne connaît pas la loi, pour revenir dans la Torah… C’est la signature du temps présent… Ceux de nous pour qui être Juif est redevenu le fait central de notre vie… nous savons tous que nous devons tout sacrifier pour le Judaïsme, mais nous ne pouvons rien sacrifier du Judaïsme, ne rien abandonner, ne rien nier, puis tout ramener en arrière à notre Judéité ».

Dans l’enseignement, le monologue devait céder la place au dialogue, l’écrit devait être moins important que l’échange vivant. Le professeur autoritaire ne se promènait plus parmi les élèves, le professeur devait maintenant se retourner et se débarrasser de la robe de mandarin – ce n’est qu’alors que le lion académique de l’oratoire ne rugirait plus parmi les professeurs. « Le pupitre a trop souvent été utilisé à mauvais escient comme une mauvaise chaire. »

Ce n’est pas l’expert, mais celui qui se tourne vers le Judaïsme devient enseignant. Parmi les autres personnalités engagées pour enseigner à la « Maison juive libre d’enseignement » se trouvait Martin Buber, que Rosenzweig appelait parfois affectueusement « le rabbin Martin d’Heppenheim ».

Le programme couvrait tout le spectre de la vie juive : philosophie et politique, droit et éthique, art et métaphysique, expérience de Dieu dans la vie quotidienne et expérience de libération personnelle, rédaction de lettres et dressage d’une table de banquet.

Quand on regarde les programmes et les curricula, quand on essaie de ressentir cette vie d’apprentissage, on ne peut s’empêcher de rêver et de souhaiter voir les choses se produire aussi parmi les Chrétiens.

Au vu de tant de comportements aliénés chez ces derniers, on se demande si une « Maison d’enseignement chrétien libre » ne pourrait pas être le lieu d’une communauté d’apprentissage renouvelée — une maison d’enseignement, non pas engagée dans une seule position théologique ou confessionnelle, mais ouverte sur le plan œcuménique, sans condition préalable, où les enseignants ne sont pas des experts, mais des camarades d’apprentissage ?

En janvier 1922, Rosenzweig tomba malade. Il souffrait d’une paralysie qui progressa rapidement. La « Maison juive libre de l’enseignement » a continué jusqu’en 1930. En 1933, Martin Buber l’a réouverte.

Rosenzweig nous offrit un dernier cadeau, sa participation, avec Martin Buber, à la traduction de la Bible hébraïque en allemand moderne. Pendant plus de quatre ans, il a travaillé depuis son lit à cette traduction. Le principe herméneutique qu’ils utilisaient était très proche de celui utilisé par Martin Luther: « L’Écriture est un poison, la sainte aussi ». Ce n’est que lorsqu’il est retraduit en usage oral que le mot prononcé « mon estomac peut le tolérer ».

Rosenzweig mourut le 10 décembre 1929, ils étaient arrivés à Isaïe 53, le quatrième cantique du serviteur de Dieu.

Il écrivait et recevait quotidiennement des lettres, mais n’a pu finir sa dernière lettre: « … et maintenant vient le point de tous les points, que le Seigneur m’a vraiment donné dans mon sommeil : les points de tous les points, pour lesquels il… »

À ce moment-là, le fil de sa vie s’est rompu…

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