En philosophie moderne, deux courants principaux tentent de répondre à la question « qu’est-ce qu’un acte moral » : l’utilitarisme et la déontologie.
L’approche utilitariste, issue du sermon de John Stuart Mill, affirme que le bien signifie le plaisir, et de toute façon une action est bonne dans la mesure où elle augmente le plaisir ou réduit la souffrance.
L’objectif est important.
L’approche déontologique, issue du séminaire de Kant, affirme, quant à elle, que les actions ont une valeur morale, positive ou négative, en elles-mêmes – quels que soient leurs résultats. La moralité est un système de devoirs universels découlant de l’esprit humain et de la nature de la réalité, il doit être mis en œuvre dans tous les cas, sans considération de bénéfice ou de plaisir.
La plupart des dilemmes moraux surgissent autour du conflit entre ces deux approches. Selon l’approche utilitariste, le but ultime est l’abondance de plaisir et le minimum de souffrance, tout acte qui y conduit est moral. Selon la déontologie, la fin ne justifie pas les moyens…..certaines actions ne seront pas accomplies, même si le monde est détruit. Des films comme “No Limit” (2010) accentuent ce dilemme à l’extrême: est-il permis de torturer la femme et les enfants d’un terroriste, sous ses yeux, pour lui faire avouer où il a posé une bombe nucléaire pouvant tuer des millions de personnes? L’avantage de sauver les masses justifie-t-il de nuire à des individus innocents?
Cependant, au milieu du 20ème siècle, un nouvel ancien acteur a rejoint le terrain. Gertrude Elizabeth Margaret Anscombe (philosophe et théologienne britannique, élève préférée de Ludwig Wittgenstein. 1919 – 2001). Elle apporte d’importantes contributions en éthique, en philosophie de l’esprit, en philosophie de l’action, logique, sémiotique, et philosophie du langage. Elle a relancé le concept de moralité chez Platon et chez Aristote et appelé à ce que la moralité repose sur une nouvelle base: “l’éthique de la vertu”. Si l’utilitarisme s’intéresse aux bons résultats, la déontologie aux bonnes actions, l’éthique morale s’intéresse, elle, à la bonne personne. “L’éthique de la vertu” est un terme général désignant les théories mettant l’accent sur le rôle du caractère et de la vertu dans la philosophie morale, au lieu de faire son devoir ou d’agir pour obtenir de bonnes conséquences. Un éthicien de la vertu est susceptible de vous donner ce genre de conseil moral : “Agissez comme une personne vertueuse agirait dans votre situation.”
La plupart de ses théories s’inspirent d’Aristote, lui, déclarait qu’une personne vertueuse est quelqu’un qui possède des traits de caractère idéaux. Ces traits dérivent de tendances internes naturelles, mais doivent être nourris. Cependant, une fois établis, ils deviennent stables. Par exemple, une personne vertueuse est quelqu’un de gentil dans de nombreuses situations au cours de sa vie parce que tel est son caractère et non pas sa volonté de maximiser son utilité, obtenir des faveurs ou simplement accomplir son devoir. Contrairement aux théories déontologiques et conséquentialistes, ces théories ne visent pas principalement à identifier des principes universels pouvant être appliqués dans n’importe quelle situation morale. Elles traitent de questions plus larges : “Comment devrais-je vivre ? » “Qu’est-ce que la belle vie?” » « Quelles sont les valeurs familiales et sociales appropriées.”
Depuis sa renaissance au 20e siècle, “l’éthique de la vertu” s’est développée dans trois directions principales : l’eudémonisme, les théories basées sur les agents et l’éthique du soin. L’eudémonisme fonde les vertus sur l’épanouissement humain, ce dernier équivalant à bien remplir sa fonction distinctive. Dans le cas des humains, Aristote a soutenu que notre fonction distinctive est le raisonnement et, par conséquent, la vie « valant la peine d’être vécue » est celle dans laquelle nous raisonnons bien.
Une théorie basée sur les agents souligne les vertus déterminées par des intuitions du sens commun que nous, en tant qu’observateurs, jugeons comme traits admirables chez les autres.
La troisième branche de “l’éthique de la vertu”, l’éthique du soin, a été proposée principalement par des penseuses féministes. Elle remet en question l’idée selon laquelle l’éthique devrait se concentrer uniquement sur la justice et l’autonomie. Elle soutient que des traits plus féminins, tels la bienveillance et l’attention, devraient également être pris en compte.
Les philosophes grecs croyaient que la personne idéale manifeste en elle des vertus telles que la justice, la modération, le courage, la générosité, l’intelligence, etc. Un acte résultant de ces vertus est moral, à l’inverse, un acte résultant de l’insouciance, de la luxure, de la cruauté, de la paresse, etc. est immoral. Les Grecs ne parlaient pas en termes d’obligation moral (un concept venu après les religions), mais en termes de bonne vie apportant bonheur et satisfaction à une personne. Ils considéraient la vertu comme le chemin vers cette vie. Par exemple, une personne riche donne de grosses sommes à des œuvres caritatives, mais ne le fait que pour être respectée et louée.
Est-ce éthique? Selon l’utilitarisme, les résultats sont bienfaisants : les pauvres ont plus de plaisir. Selon la déontologie, la charité est un acte requis par les règles de la morale, il est donc moral.
Mais “l’éthique de la vertu” affirme que les deux oublient quelque chose. Il est vrai que l’acte est approprié, mais la personne elle-même n’est pas morale car elle n’agit pas par générosité, mais par recherche de l’honneur – ce qui n’est pas une bonne vertu. En d’autres termes, elle nous enseigne qu’au-delà des actions et des résultats, nous devons également veiller à améliorer notre moralité et notre personnalité. Une personne peut faire de bonnes actions toute sa vie sans toutefois être morale, car ses motivations sont égoïstes et non pas nobles.
Il semble que sa voix ne soit pas suffisamment entendue dans le discours moral actuel, qui est pour le moins superficiel. Dans la société moderne, l’éducation met plus l’accent sur les résultats et les réalisations tangibles, et moins sur le développement de la personnalité et du caractère. Les questions morales se concentrent généralement sur la question “la personne a-t-elle été blessé par cela ?” Sinon, tout est permis. Des exemples en sont visibles lors de la publication de scandales sexuels. Ces événements ont provoqué un grand choc, mais le débat public s’est concentré sur la question de savoir s’il y avait ou non consentement – comme si c’était là, la seule question pertinente! S’il y avait consentement, il n’y avait donc ici aucun problème moral ?
Mais est-ce ainsi ?
Le choc naturel découle des intuitions de “l’éthique de la vertu”, selon lesquelles les actions découlant d’un désir grossier et sans émotion sont immorales, même accomplies avec le consentement de toutes les parties. Elles ne blessent peut-être pas quelqu’un d’autre, mais blessent le caractère moral de celui qui les fait.
Un autre exemple ? Les débats autour de la peine de mort pour les terroristes et les meurtriers. Ici aussi, les principales raisons sont utilitaires : une telle sanction dissuadera-t-elle davantage de criminels?
On prétend parfois que tuer des terroristes amène ceux qui les tuent à devenir comme eux – parce que tuer, c’est tuer. Cependant, l’éthique morale dira que la dissuasion n’est pas la seule considération, il faut voir d’où elle découle. Tous les actes meurtriers ne sont pas égaux non plus. Un soldat ou un policier qui tue par désir de justice et par désir de protéger des innocents n’est pas du tout semblable à un criminel qui tue par haine et par cruauté.
Pour que notre débat moral soit riche et exprime toutes nos intuitions morales, nous devons toujours prendre en compte ces trois facteurs – les conséquences, l’acte en lui-même et les valeurs et vertus qu’il exprime.