A LA GLOIRE DU COMPROMIS par Rony Akrich

by Rony Akrich
A LA GLOIRE DU COMPROMIS par Rony Akrich

Mes propos, s’ils sont d’actualité, tendent à vouloir nous engager vers quelque chose de mieux, vers ce qui sera meilleur, cet espoir de découvrir enfin une image angélique sur le visage humain. Essayer une autre façon, risquer d’offrir à la « beauté » la chance de vaincre la « bête » immonde si présente dans le quotidien des Sapiens. Pourrions-nous exécuter ce minimum indispensable sans remettre en cause son pronostic ! Ne serait-ce pas trop demander ?

Il faut parler et ne plus se combattre !

Discuter et ne plus nous disputer !

Dialoguer et non plus s’écouter soi-même !

Nous contraindre au débat et non au monopole de l’opinion !

Nous inviter à encenser et non plus à abhorrer !

Ouïr autrui et ne plus le condamner !

Découvrir l’autre et ne plus l’ignorer !

Apprenons, éduquons, soyons sages, soyons justes, soyons droits, souhaitons, rejoignons, réalisons, notre contrat social, même si cela résiste à la vanité juive !

Aimons-nous et ne nous détestons plus !

Le compromis est l’enrichissement de l’âme chez Platon ! Commençons par dire que la philosophie est presque née avec l’idée que le compromis est essentiel à la vie. Dans le dialogue de Gorgias, Platon promeut, par la bouche de Socrate, une idée qui ne nous est pas familière :

« Je suis une personne satisfaite par le seul fait que quelqu’un me contredit »

Alors que le bon sens normatif nous aurait tout du moins fâchés d’être contredits, Socrate défend l’idée inverse. Accepter qu’on ne gagne pas tout de suite, serait-ce une forme d’auto-humiliation?

« En fait, je pense qu’il est plus utile de me contredire, dans la mesure où se débarrasser du pire mal me fait plus de bien que d’en sauver les autres »

Le pire mal ici est l’erreur. Ce n’est pas pour plaire aux autres que l’on aime être contredit, mais uniquement en raison du fait que la contestation permet de se rapprocher de la vérité, ce qui ne peut être qu’une chose utile pour soi et pour les autres, selon Platon. Si le terme « compromis » n’est pas explicitement utilisé par le philosophe, l’idée est d’avoir une sorte d’humilité, de ne jamais croire que l’on sait tout mais de partir du même postulat, selon la fameuse formule socratique : « Je sais que je ne sais rien. »

Un dialogue sain est un dialogue dans lequel chacun fait un pas vers l’autre, dans une recherche désintéressée d’enrichissement mutuel. Et cela ne peut se faire que si les deux parties acceptent nécessairement de prendre un peu de recul. La conciliation permet à deux personnes de se mettre en relation lors d’une polémique, elle renvoie plus généralement à la controverse socio-politique et à la composition d’interactions entre les parties prenantes.

Dans l’un des chapitres les plus célèbres des « Essais » (« L’art du dialogue »), Michel de Montaigne fait de la discussion et de son verbe, à la fois un moyen d’accéder à la vérité, mais aussi à la vertu qui lui est si chère : la convivialité. Le « dialogue », c’est-à-dire la parole animée, est ici plus douce que chez Platon, bien qu’elle implique aussi l’objection. Débat, accord sur un conflit, réponse spontanée dans le discours, tout cela nous ouvre aux autres, nous incite à mieux connaître cet interlocuteur souvent méconnu, voire même, à nous créer des compagnons de route. Cet accord courtois ne peut se faire qu’à une condition : l’autre doit refuser toute tergiversation de manière « têtue, malveillante et emportée », c’est-à-dire chasser tout rapport de force. Une vertu plus facile à louer qu’à réaliser, je vous l’accorde ! Et pourtant !

Jamais au grand jamais nous n’obtiendrons quoi que ce soit par la force ! Cette idée est également partagée par le philosophe Paul Ricœur, notamment dans le domaine politique, seul un compromis permettra de trouver des solutions en politique. Dans le chapitre « Pour une éthique du compromis » inclus dans son livre « Philosophie, éthique et politique » (publié en 2017), Ricœur fait un constat tragique sur la politique : il n’existe point de valeur suprême pouvant coordonner l’ensemble de la classe dirigeante.

« Le bien commun ne peut être atteint par une interprétation unilatérale, mais seulement par le croisement de plusieurs ordres de grandeur. Le compromis est donc essentiellement lié au pluralisme des justifications, c’est-à-dire aux arguments que les politiques soulèvent lors des conflits. »

Le compromis n’est ni un accord ni une ruse. D’une part, il n’élimine pas les tensions ; c’est simplement un geste qui empêche la situation de dégénérer.

« Le compromis est une barrière entre l’approbation et la violence. En l’absence de consentement, nous transigeons au nom de la paix civile »

D’autre part, le compromis n’est pas une astuce morale, se trahissant lui-même, selon Paul Ricœur ; Par conséquent, il ne devrait pas être rejeté par principe.

« Dans la fraude il y a un mélange pervers de desseins et de principes de dotation […] Dans le compromis, chacun reste à sa place, personne n’est chassé de son plaidoyer. Autrement dit, le compromis est un jeu à somme positive : en croisant des avis, on arrive à quelque chose de mieux. »

Le philosophe Maurice Merleau-Ponty recommande de se rapprocher des personnes qui nous paraissent les plus lointaines, afin de trouver un terrain d’entente entre nos aspirations et les leurs. Au lieu de nous mettre à leur place, nous devons comprendre le sens de leurs paroles, de leurs gestes, de leur comportement. Cette écoute privilégie la cohabitation, elle permet d’affronter la crainte de ces autres, la peur de l’impuissance, la peur d’être convaincu ? Contre tous ces motifs éprouvés, les paroles et les gestes témoignent d’une volonté de vivre en paix, d’être et de demeurer ensemble. Merleau-Ponty nous rappelle que les désaccords et les comportements inappropriés seront toujours présents, l’harmonie sociale est un rêve impossible, il met l’accent sur l’implication de chacun dans les processus politiques. Personne ne peut être libre seul, puisque, toutes nos vies sont déjà imbriquées, et si c’est le cas notre rencontre avec l’autre, sera le seul pur bienfait

Le dialogue, même à travers les conflits, nous permettra constamment de découvrir de nouvelles façons de vivre et nourrira notre créativité. C’est une question de discernement, de réflexion, de perspicacité : l’idée centrale de la philosophie politique de Merleau-Ponty est que la vraie liberté :

« prend les autres là où ils sont, cherche à infiltrer les doctrines mêmes qui nient cette liberté et ne t’autorise jamais à juger avant d’avoir compris. »

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