LE MESSIE FILS DE YOSSEF

by Rony Blog

Les textes talmudiques évoquent à plusieurs reprises le destin d’un Messie enfant de la souche de Yossef (Traité Souca 52a), distant du Messie, par excellence, descendant de David. D’après les explications apportées par nos Sages, la lignée de Yossef devancerait la lignée de David, une information qui nous laisse pantois si ce n’est coi! Depuis des lustres nous prions pour la venue d’un Sauveur et voilà qu’ils seraient deux!
Dans le livre «La voix de la tourterelle», l’auteur nous rapporte la position du Gaon de Vilna et nous éclaire sur la notable distinction, existante, entre ces deux Messies: «Tandis que le Messie fils de Yossef représente, avant tout, la force matérielle qui anime une nation, le Messie fils de David représente, quant à lui, l’édification spirituelle de cette même nation».
 
Le premier serait chargé d’administrer les divers éléments physiques et matériels de la société, Il serait le levier de la vie agricole, politique et militaire.
Mais cela donnerait au fils de David, le droit et le devoir de stimuler la vie spirituelle et intellectuelle de la nation.
Ce classement est assurément équivalent à la partition que nous trouvons chez l’humain: d’un côté le corps, et de l’autre, l’âme. Alors que la matière est le soubassement de l’âme, cette dernière a pour indispensable responsabilité d’illuminer et d’exhorter le corps.
Les deux Sauveurs devront ainsi réaliser la substance et l’essence de la nation des Hébreux : participer à la conception du sujet le plus harmonieux possible.
 
D’emblée il y eut rivalité entre Yossef d’un côté et ses frères, dirigés par Yehuda, de l’autre; plus tard, c’est encore de la descendance de Yossef et de la tribu de Yehuda que seront natives les dynasties royales qui gouverneront le peuple hébreu partagé entre le royaume d’Israël et le royaume de Yehuda.
La destinée de l’homme Yossef est tout du long frappée du sceau de la contigüité avec la société humaine environnante, avec l’univers des «gentils» non juifs. Il accède aux fonctions les plus hautes du royaume, il devient un responsable politique en Égypte, devenu grand argentier averti, c’est lui qui subviendra aux besoins alimentaires de sa famille pendant toutes les années de famine. Il est et devient ce Juif qui prendra l’habit égyptien pour se mettre au service de la civilisation de son temps, entrepris par la vie politique et économique, au contact de l’étranger; son zèle sera indispensable à la survie du clan.
Yossef ressemble au Juif assimilé, même s’il ne l’est pas réellement, il est le point de contact entre le monde juif et celui de l’universel humain.
Néanmoins et malgré les aléas dévolus à son statut, Yossef protègera et préservera l’éthique de son identité hébraïque; il restera Yossef le juste.
Quant à Yehuda, il continue de conduire le reste de la famille, il est le chef d’une communauté qui demeure dans sa félicité à l’écart du monde extérieur.
 
Ces deux composantes doivent nécessairement fusionner sous une même autorité, au sein d’une même structure, aux seules fins d’une meilleure collaboration, et ainsi se conforter l’une et l’autre.
Aménager un pouvoir fort qui ne se dépossède point de la spécificité qui est la sienne, disposer de toutes les données d’excellence qui définissent ce peuple comme tel et qui en exil ne se perçoivent que chez des particuliers.
 
Pourquoi le Messie organique est-il appelé fils de Yossef ?
D’abord parce que Yossef fut lui-même un génie de l’économie, de l’agriculture et de la politique. Son administration financière et sociale de la nation égyptienne, sous le titre de vice-roi d’Egypte, lors des années d’opulence, puis des années de sécheresse, en est une excellente preuve.
Cette sagesse, cette droiture et cette honnêteté constantes lui servirent à transformer l’Egypte et à l’élever au rang de grande puissance, la plus influente de la planète.
 
L’homme Yéhouda est l’ancêtre du Messie fils de David, toutes les capacités à être et avoir de Yossef font également parties de sa personnalité, mais son réel visage est d’abord et avant tout spirituel, comme il est écrit: «Yéhouda est réservé à la sainteté» (Téhilim CXIV, 2), c’est d’ailleurs sur son territoire que s’élèvera le futur Temple de Jérusalem dédié à l’Eternel D.ieu d’Israël.
Yehuda et Yossef coopéreront fatalement, car la destinée de Yossef est d’apprêter la royauté de Yehuda: «Voici, Je vais prendre l’arbre de Joseph … et les rameaux d’Israël, ses associés, et Je lui joindrai l’arbre de Yehuda, et J’en ferai un arbre unique, et ils ne feront qu’un dans ma main» (Ezéchiel, 37,19).
Malheureusement les individus sont trop rarement ouverts vers autrui pour consentir dans un au préalable, à la nécessaire complémentarité des êtres et des idées. La divergence, entre nos deux héros, s’embrouille d’autant plus qu’un certain nombre de mystifications et de distorsions de l’existence s’introduiront malencontreusement parmi les estafettes de ces deux destins.
Pendant que Yossef se risque aux dangers de vivre en terre étrangère, au sein d’une civilisation inconnue, Yehuda, quant à lui, se risque à un vécu en autarcie par peur de se perdre mais où finalement il s’enferme et se cloitre.
Il est tout à fait inexact de vouloir présenter Yossef comme le prototype du Juif assimilationniste, hypnotisé par les lumières de la ville et coupant ainsi le cordon ombilical le reliant à son identité, ni même de vouloir faire figurer Yehuda comme le seul partisan sincère d’un attachement aux traditions religieuses.
Selon la vision et l’appréciation de nos sages, Yossef n’est pas moins spirituel que Yehuda, d’ailleurs ce serait lui qui défendrait au mieux l’héritage de Yaakov ; il lui faudra récolter l’ensemble des énergies sûres dispersées dans les annales et les chroniques de l’Humanité. Son allégeance et son sérieux attentifs aux événements de chacune des époques qu’il traverse, font de lui le précurseur moral d’un monde en devenir.
Au vu et su de son loyalisme animé d’une intelligence curieuse et critique, il demeurera l’un de ces rares personnages de l’Histoire à savoir garantir la réserve économique, politique et culturelle du peuple d’Israël au grand moment de sa réunification nationale.
Cette dualité doit être expliquée, il ne suffit pas de la présenter comme deux manières distinctes d’être Hébreu, d’une double face particulariste et universaliste de la tradition d’Israël, faut il aussi, bien sûr, éviter toute préférence de l’une au profit de l’autre.
En vrai, originalité et exhaustivité sont toutes deux finalement idéales à Israël en tant qu’adhérent à la société des nations. Porteur d’espoirs moraux universels, le peuple juif possède pareillement ses habitudes propres et un devenir au sein d’une histoire toute singulière.
Toutefois le projet de l’être Hébreu ne passionne pas encore, il estime être le socle porteur de la «Sainteté supérieure», celui par qui les champs immanents du temps et de l’espace de l’épopée humaine seront transcendés vers une rédemption finale et totale.
En conséquence la coexistence, nécessaire de ces deux dimensions, dans la constitution et l’engagement d’Israël n’est pas seulement doctrinale.
Voici une valeur gravée dans son aventure où l’incapacité d’accorder ces deux essences sera source de scissions dans le peuple et probablement même de véritables tragédies nationales.
Apres l’éclatement du royaume d’Israël en deux royaumes distincts, ces derniers auraient dû chercher à résoudre leurs nouvelles relations de frères ennemis, non pas en poursuivant une unité factice mais bien en coopérant.
Que Yossef guide Yehuda sur les artères de la stabilisation nationale, sur les chemins conduisant la société humaine vers un vécu appréciable.
Et qu’en retour Yehuda octroie à Yossef l’élan supérieur propice au peuple Hébreu qui, par l’omniprésence des Prophètes, aurait la capacité de sanctifier toute matière.
L’histoire juive dans son ensemble manifeste cette dichotomie entre Yehuda et Yossef, elle sera prétexte à de longues et incessantes séries de malaises et de souffrances.
 
Épisodiquement le besoin d’affirmation de la puissance nationale et de l’universel humain occuperont le devant de la scène, quelquefois au contraire, on sera témoin du renouveau et de l’épanouissement des vertus clairement juives, tout autant que d’un nouvel intérêt à l’étude de la torah et de ses idéaux.
Au lieu d’une contribution réciproque, indispensable, chacun aspire à grandir séparément et entérine une situation conflictuelle.
La faculté de réunir et de rassembler est loin d’être probante, ce manque d’engagement empêche de concéder à chacune des tendances ainsi qu’à leurs représentants, une juste place. Cet éparpillement des volontés, source de désordre et de confusion, est ce que l’on dénomme les « douleurs de l’enfantement de la délivrance », les contractions à la venue du Messie, des deux Messies, ajoute le Rav Kook.
 
Les agissements du Messie fils de Yossef sont particulièrement touchés par un conflit interne. D’une part ils sont salutaires et de l’autre, limités à une spontanéité qui leur est spécifique, ils ne savent pas comment atteindre le but par eux mêmes, ils sont promis à un cuisant échec. Un peuple juif oubliant son caractère original, détaché des vertus qui incarnent sa destinée, est pour le moins inconcevable.
Les faits et gestes du Messie fils de Yossef sont essentiels, mais soumis aux seules lois du monde immanent, ils n’auront aucune chance de supporter à eux seuls les tourbillons de l’Histoire.
Tous, ensemble nous devons prendre conscience d’une telle évidence, la scission est dévastatrice, elle découle d’une profonde ignorance et nous mène inexorablement au drame et à la tragédie.
La catastrophe de la mort du Messie fils de Joseph procurera l’essor indispensable à la mise en place de nouvelles conjonctures, l’affliction n’est pas uniquement tournure de chagrin, elle est aussi prise de conscience.
Ceux dont la préoccupation principale ser
 
ait le redressement politique de la nation et ceux qui braqueraient leurs regards vers les vertus fondamentales d’Israël, ceux-là mêmes, tous ensemble, trouveront les solutions pour une action commune et un programme commun.
Le schisme a entraîné des échecs, mais l’unité pourrait être encore plus funeste si jamais l’une des deux parties venait à s’annihiler devant l’autre.
Le danger serait qu’au lieu de se séduire mutuellement tout en préservant leurs spécificités, les voies de Yehuda et de Yossef se désagrègent dans une uniformité sans relief.
Pour prendre une comparaison banale, la situation serait analogue à celle d’une démocratie pour laquelle l’alternance peut être préférable à un gouvernement d’union nationale condamné à l’immobilisme.
Si l’unité du peuple Hébreu annonce l’institution d’un traditionalisme sans callosité, sans utopie radicale, alors, à tout prendre, la polémique et la scission sont préférables, en dépit des échecs qu’elles entraînent.
Appréhendons ici qu’il n’existe pas de contradiction entre ces deux impératifs : la lumière divine aboutit tant au spirituel qu’au matériel, comme il est écrit : «L’âme est à Toi et le corps est Ton oeuvre» (Seli’hot).
Le roi David lui-même demeure la personnification de cette complémentarité capitale entre l’univers de l’esprit et du corps, il détenait la puissance corporelle et matérielle de bâtir une nation, de pourchasser ses ennemis, et de mettre sur pied un royaume.
Cet ancien schisme montre parfois son terrible visage alors que notre nation recouvre sa souveraineté et son indépendance sur sa Terre ancestrale.
Il existait d’un côté un Judaïsme religieux et ultra-orthodoxe, fortement imprégné de spiritualité mais déconnecté des complications matérielles rivées à la renaissance nationale du peuple juif. De l’autre côté, nous trouvions les Juifs sionistes et pionniers reconstruisant notre nation sur sa terre, se battant pour garantir sa défense et vivant, pour beaucoup d’entre eux et la plupart du temps assez éloignés de la Torah.
Une des grandes contradictions du Judaïsme moderne se niche dans le fait que la plupart des religieux se soient murés dans la dimension de Yehuda, quand les exigences de l’époque sollicitaient la dimension de Yossef, cette méprise d’orientation s’est soldée et se solde encore par d’énormes dissensions nous éloignant les uns des autres.
Mais rassurons nous, voici venu le temps des rencontres là où les deux Messianités commencent à se croiser, à se découvrir et à s’aimer; le spirituel et le matériel s’assemble pour mieux se marier et engendrer une harmonie pleine et entière.
Les complications conséquentes au retour d’Israël ne pouvaient donc s’incarner que dans une conduite procédant de la vocation de Yossef.
 
Il est néanmoins incontestable que le Sionisme soit le vecteur d’une des essences de la vocation de Yossef, mais ce serait une faute d’estimer que les frontières du Sionisme, ses contraintes et ses déconvenues, indiquent les frontières de la vocation de Yossef.
Celle-ci excède de beaucoup ce que le Sionisme est parvenu à réaliser jusqu’à maintenant.
Le rassemblement des exilés et l’implantation sur une partie de la terre d’Israël ne sont qu’un des aspects de son devoir, la substance éthique, pédagogique et culturelle de sa charge ne sont encore qu’une esquisse. Nous ne savons point encore défendre et manifester, ouvertement, face au monde, le sens historique, spirituel, et universel du Retour d’Israël sur la terre de la promesse et de la Prophétie. La tâche est encore grande! Mais « il suffit, Yossef est toujours vivant !» (Genèse, 45,28).
 
 

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