Le régime des partis – Par Rony Akrich

by Rony Akrich
Le régime des partis – Par Rony Akrich

Le système de gouvernement en Israël est hautement centralisé. Les facteurs
contributifs comprennent le système national proportionnel et la manigance au
sein même des listes de partis, dans lesquels chacun offre une liste nationale de
candidats qui ne peut être modifiée par les électeurs. Aucune flexibilité ni division
en districts, aucune circonscription existante et donc aucune représentation. Il
en résulte une préférence pour la politique nationale par rapport aux voix
régionales et aux intérêts locaux.
L’absence totale de lien entre les électeurs et leurs représentants: les membres de
la Knesset n’ont pas d’engagement, par exemple, envers un canton en particulier,
mais simplement avec quelques centaines de partisans dispersés dans tout le pays.
Pour les critiques du système national, cela exclut presque tout engagement
personnel des parlementaires envers leurs électeurs. L’introduction de
circonscriptions pourrait renforcer les antennes locales des partis et établir un lien
entre les électeurs et leurs représentants sans porter atteinte au principe de
proportionnalité.
La sous-représentation de la périphérie: le fait que tous les membres de la Knesset
soient élus sur des listes de parti à l’échelle nationale prive la périphérie
géographique d’une représentation juste. Résultat: ses intérêts ne sont pas
entendus équitablement et ses habitants ne se sentent pas associés à ce qui se fait
au niveau national. L’élaboration des listes de candidats élus, suite à une élection
primaire, se fait à guichet fermé avec une participation moyenne et souvent
minoritaire des fameux inscrits et détenteurs de la carte du parti. Les places sont
chères, il faut beaucoup d’argent, de complices, de soutiens, de magouilles au sein
de la caste. On garde aussi deux ou trois places bien en chair pour des intéressés,
un visage féminin, un juif éthiopien ou bien un bon p’tit druze ancien combattant.
On aime surtout nos ex guerriers, on adule l’uniforme, on le caresse dans le sens du
poil et lui affirme qu’ayant mené les troupes au front, il n’aura aucun mal à mener
Israël à la victoire. En fait ils furent, pour la plupart, les architectes des plus
grandes défaites d’Israël, d’une traversée de la Bérézina au Gush Katif et beaucoup
plus malheureusement, si affinités, prochainement!
Il est donc bien évident que nous assistions à une érosion de la confiance dans les
représentants élus. Cette loyauté des représentés envers les membres de la
Knesset en particulier et dans les institutions du gouvernement en général a
régulièrement diminué au cours de la dernière décennie. Cette usure provient en
grande partie du fait que les membres de la Knesset ne sont motivés, d’aucune
manière, par un lien fort et affectif avec les soucis et les désidératas des personnes qu’ils sont censés représenter et ne se sentent aucunement responsable au
singulier comme au particulier. L’adoption d’un système de circonscription
pourrait contribuer à raviver ces liens, qui se sont affaiblis au fil des ans.
Au cours des premières décennies qui ont suivi l’indépendance, Israël a enregistré
une très forte participation aux élections générales. Une baisse importante a été
constatée depuis le début du nouveau siècle, à la suite d’élections fréquentes et
anticipées. Il est probable que le taux de participation des électeurs augmenterait
si les citoyens estimaient que la participation politique au niveau local et de la
circonscription a une influence directe sur le niveau national.
Il y a trop de partis politiques en Israël. L’adoption du système de circonscription
et l’instauration de seuils d’éligibilités appropriés devraient permettre de réduire
le nombre de partis et d’améliorer ainsi la stabilité du gouvernement et du système
politique.
Lorsque les mécanismes de représentation politique ne sont pas en mesure de
représenter le peuple comme une unité, lorsque le processus de représentation ne
représente pas la souveraineté populaire, lorsque l’égalité politique est trahie,
lorsqu’il existe un écart important entre le système politique et la promesse
démocratique, nous sommes confrontés à une crise de représentation.
Tentons de comprendre celle-ci comme la traduction d’un redressement de la
souveraineté populaire en actes de gouvernement et en lois. Cet acte de
reconstruction n’est pas un simple miroir, mais on peut dire en quelque sorte que,
puisqu’il n’y a pas de peuple apolitique, l’acte de représentation constitue à la fois
le représentant et le représenté (le peuple).
Comme dans de nombreux autres pays, Israël est confronté aujourd’hui à une crise
de cette députation. L’évolution de cette crise de représentation en Israël présente
un intérêt particulier pour deux raisons. Premièrement, la célérité des
changements qui ont transformé une société dans laquelle, comme il a été dit plus
haut, les partis étaient essentiels non seulement à l’organisation sociale et au
système politique, mais également aux identités collectives et individuelles. Nous
sommes aujourd’hui face à une société où les partis ont perdu la confiance des
citoyens et sont considérés comme des institutions trahissant la volonté populaire.
Deuxièmement, en raison du fait qu’une crise de représentation s’est développée
dans un pays doté d’un système politique parlementaire, d’une représentation
proportionnelle et d’un seuil d’éligibilité relativement bas, conditions qui offrent
une vaste gamme d’options politiques et seraient censées mieux refléter les
besoins et les intérêts des citoyens et de différents groupes sociaux, évitant ainsi
des crises de représentation. Lors des discussions sur la crise actuelle en Israël, il
convient de noter que ce dommage ne doit pas être interprété comme le résultat
d’une perte d’intérêt pour la politique en tant que telle, ou de l’indifférence à l’égard du sort de la communauté politique. Au contraire, sur le plan international,
les Israéliens restent très intéressés par la politique. Mais devenus majeurs et
vaccinés, âgés de plus de 70 ans, le peuple compte bien être entendu, compris et
soulagé face aux sujets cardinaux de son quotidien. Salaire, retraite, pouvoir
d’achats, justice sociale pour tous, accès commun aux études, à la culture et aux
loisirs…Israël pour un monde enchanté, un pied de nez, possible, à Mr Max Weber!
En 1940, la philosophe Simone Weil rédige une Note sur la suppression générale des
partis politiques. Elle livre une analyse sans concession. Entre le stalinisme et
l’hitlérisme, elle voit le danger de l’endoctrinement. «Tous les partis font de la
propagande», dit-elle. Or, pour elle, le critère du bien ne peut être que la vérité, la
justice, et, en second lieu, l’utilité publique. A l’aune de ces trois valeurs, les
partis, «machines à fabriquer de la passion collective», sont un danger. «Tout parti
est totalitaire en germe et en aspiration», écrit-elle. Par leur organisation, ils sont
mêmes destinés «à tuer dans les âmes le sens de la vérité et de la justice». Un
diagnostic encore valable aujourd’hui ? L’intérêt de lire ou relire Simone Weil, au-
delà de ses accès mystiques, est de se confronter à un esprit entier, qui refuse tout
relativisme et fait de la vérité et de la justice, les principaux axes de sa pensée.
« Un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective. Un parti
politique est une organisation construite de manière à exercer une pression
collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres. La
première fin, et, en dernière analyse, l’unique fin de tout parti politique est sa
propre croissance, et cela sans aucune limite. Par ce triple caractère, tout parti est
totalitaire en germe et en aspiration.
S’il ne l’est pas en fait, c’est seulement parce que ceux qui l’entourent ne le sont pas
moins que lui. Il est douteux qu’on puisse remédier à cette lèpre, qui nous tue, sans
commencer par la suppression des partis politiques. »

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