À l’heure actuelle, la démocratie libérale n’est pas seulement en recul, elle est assiégée!
Nombre de commentateurs socio-politiques nous le confirment: à ce jour, nous nous trouvons dans la seizième année consécutive de déclin des libertés dans le monde … en supposant, bien sûr, que la démocratie soit le système politique qui offre la plus haute probabilité de liberté.
D’une part, nous connaissons une vague d’autoritarisme en raison du nombre croissant de pays dictatoriaux ou arbitraires, d’autre part, l’influence acquise par certains d’entre eux dans les affaires internationales, là où la démocratie souffre d’un réel déclin.
Il n’y a pas si longtemps, dans les années 1990, cette décennie dorée tant pour la démocratie que pour le monde occidental, les perspectives d’expansion démocratique étaient si bonnes que le politologue américain Francis Fukuyama avança une théorie du futur, il y annonçait la fin de l’histoire: une nouvelle ère où les affrontements cesseraient car tous les pays finiraient par devenir démocratiques, rejetant toutes autres formes de gouvernements globalement considérés comme injustes et oppressifs.
Mais, comme l’a si bien dit Karl Popper, les faits sont têtus et la démocratie recule depuis 2006!
Sur fond de dernière crise financière mondiale, on assiste à la consolidation de régimes autoritaires dans plusieurs régions du monde :
*Vladimir Poutine a lancé un nouveau style de régime autocratique en Russie apte à le maintenir au pouvoir à vie, à condition, bien sûr, de parvenir à y rester après avoir défié le monde occidental en envahissant l’Ukraine.
*Hugo Chávez, sous son influence, a mis fin à la démocratie au Venezuela et celle de Cuba sous Castro, cette révolution bolivarienne a renversé les principes de la démocratie libérale dans une partie substantielle de l’Amérique latine.
*La lueur d’espoir démocratique en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, créée par les révoltes du soi-disant printemps arabe en 2010, s’est rapidement évanouie et nous avons, depuis, vu des dictateurs soutenir des régimes autoritaires.
*Entre-temps, modèle de démocratie laïque pendant plusieurs décennies, la Turquie est devenue un exemple phare de l’autoritarisme sous la présidence d’Erdogan.
*L’ascension fulgurante de la Chine et son rôle planétaire au cours des deux dernières décennies expliquent très bien cette vague d’absolutisme. Le régime autocratique le plus peuplé du monde a signé des accords économiques avec de nombreux pays contribuant à sa croissance constante. Mais contrairement à l’Union européenne, ou aux États-Unis, qui exige, en contrepartie de toute aide économique, une démocratisation du pays et une législation concernant les droits de l’homme, l’aide de la Chine est politiquement inconditionnelle. Cela explique le nombre accru de régimes autoritaires, prospérant sous influence financière de la République Populaire de Chine.
Parallèlement, elle a lancé une campagne pour discréditer la démocratie et convaincre les dirigeants du monde entier qu’elle est inférieure à son propre système. Pour faire avancer ses objectifs, elle a trouvé la plate-forme idéale, les Nations Unies. Au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, les États-Unis l’ont quitté en 2018, Pékin a promu la vision qu’aucun système politique ne peut être prépondérant, il appartient à chaque État de décider de son système politique et pour cette raison, le principe de non-ingérence doit prévaloir dans les relations internationales.
C’est un affront à ce que l’ordre international libéral défend depuis un siècle! Il permet aux violations des droits de l’homme de rester impunies, par contre, la formation d’autocraties est encouragée.
Le recul de la démocratie peut être compris en termes de politique de puissance dans la sphère internationale.
Alors que l’influence mondiale des États-Unis et de l’UE diminue au détriment de celle de la Chine et de la Russie réunies, le prestige des régimes dictatoriaux augmente inévitablement. Mais il serait trompeur d’attribuer cela exclusivement à l’échec des politiques étrangères des principales démocraties, celles-ci reculent également à cause d’un ascendant économique et sécuritaire affaibli dans le monde démocratique lui-même.
Le leadership dans l’occident libéral a atteint des niveaux de petitesse sans précédent. Traditionnellement, la direction d’un pays devait être à la portée de ceux dont la vie professionnelle et personnelle avait été vraiment exceptionnelle. Cette tradition hiérarchique explique la présence d’hommes de pouvoir tels qu’Abraham Lincoln, Winston Churchill, Charles De Gaulle et Konrad Adenauer. A l’identique, être ministre, ou atteindre les rangs les plus élevés d’un gouvernement, était autrefois le point culminant de l’excellence dans une carrière professionnelle.
Est-ce vraiment le cas actuellement?
Les épreuves à l’entrée en politique n’ont jamais été aussi insignifiantes qu’aujourd’hui.
S’il est difficile d’accéder aux plus hauts échelons de l’administration publique, du milieu universitaire ou du monde des affaires, il est relativement aisé de devenir membre de l’élite dirigeante par le biais de la manœuvre partisane, où le copinage l’emporte sur la méritocratie, système politique, social et économique où les privilèges et le pouvoir sont obtenus par le mérite. Celui-ci est fondé sur la reconnaissance de la valeur par les diplômes, l’expérience, les qualités, les vertus…
La méritocratie a pour fondement l’égalité des chances, la liberté individuelle et la reconnaissance de la « réussite ».
Le copinage, lui, est très souvent une servilité infâme! Il dépasse, et de loin, l’exigence d’excellence et d’intégrité.
La vie publique dans les démocraties libérales s’est appauvrie car la carrière n’attire plus les meilleurs talents de la société.
Le populisme est l’autre explication du déclin de la démocratie.
Il peut être défini comme la tendance des gouvernements à répondre aux affres populaires quelles qu’en soient les conséquences et, généralement, lié à un leadership faible et médiocre.
Si un homme d’État planifie pour la prochaine génération, un politicien planifie pour les quatre prochaines années.
À une époque où l’esprit d’État est notoirement absent, les promesses les plus extravagantes prolifèrent dans le but de gagner des élections, ou des référendums, toujours appréciées parmi les dirigeants populistes, même si ces engagements sont insoutenables ou provoquent des dommages irréparables pour le pays, à long terme.
Le populisme n’a pas seulement transformé des démocraties solides en États défaillants, il est également à l’origine des assauts croissants contre les freins et contre pouvoirs qui permettent à la démocratie de fonctionner, comme l’exige la séparation des pouvoirs, entre l’exécutif, le législatif et le juridique.
Non des moindres, elle requiert liberté d’expression, liberté religieuse et droits des minorités.
Le « wokisme et la culture d’annulation » sont une autre manifestation de la crise foncière au sein de la démocratie libérale. C’est le résultat d’une interprétation extrémiste du politiquement correct selon laquelle il ne peut y avoir qu’une seule façon de penser en démocratie, généralement du côté de ceux qui sont au pouvoir ou d’un courant culturel prédominant, en conséquence, ceux qui expriment des opinions différentes doivent être ostracisés ou éliminés de la sphère publique. Cette tendance est particulièrement dangereuse dans la presse et le monde universitaire, qui ne peuvent prospérer sans l’existence d’une liberté d’expression.
Le wokisme a été à l’origine de manifestations radicales qui ont culminé avec le renversement de statues de personnages historiques accusés de représenter des croyances sexistes ou racistes.
De David Hume à Thomas Jefferson, plusieurs contributeurs majeurs à l’histoire de la démocratie libérale ont été ainsi diabolisés par cette inquisition du 21eme siècle, tout comme certains de nos concitoyens diffamés par un ministère de la vérité s’ils ne suivent pas docilement ses doctrines.
Ceci est contraire à l’essence de la démocratie libérale basée sur la diversité des opinions et la liberté d’expression.
La post-vérité est également responsable de la décadence démocratique.
Il s’agit d’un nouveau phénomène dans lequel les faits objectifs ne façonnent plus l’opinion publique et sont remplacés par des émotions, des croyances personnelles ou de simples mensonges.
La technologie Internet en est en grande partie responsable, car elle diffuse toutes sortes d’informations sans hiérarchiser leur importance ni évaluer leur véracité, comme le faisait traditionnellement la presse éthique. Les médias sociaux permettent la propagation de mensonges à une vitesse incroyable, toutes sortes de croyances et d’émotions qui capables d’affecter un processus électoral. La surcharge d’informations tue l’ère de l’information avec le rationalisme et les connaissances factuelles qui lui sont associés, ces derniers constituaient la pierre angulaire de la démocratie libérale.
Dans plusieurs pays, ce régime perd l’aspect libéral et devient une démocratie populaire. Dans d’autres, elle connaît une chute si dramatique en termes de représentation, de planification et de responsabilité qu’elle devient ce que les Grecs définissaient comme une « cacocratie ».
Celle-ci est le gouvernement par les plus mauvais, les pires ou par les personnes les plus médiocres.
Il s’oppose à l’aristocratie, gouvernement par les meilleurs.
Ce terme, peu usité, est employé avec un sens fortement péjoratif pour désigner un gouvernement, un pouvoir ou une organisation considéré comme étant constitué de personnes particulièrement incompétentes.
L’autoritarisme a également créé des États mafieux et, à cause de cela, nous connaissons
« L’ochlocratie ».
Il s’agit d’une forme de gouvernement dans lequel la multitude, la foule, la populace, détient tous les pouvoirs et impose tous ses désirs.
Le mot a une connotation péjorative pour désigner le règne de la médiocrité, de la vulgarité, accompagné d’une décomposition de la loi et des mœurs engendrant un chaos politique et la lutte entre les individus. Il s’oppose au règne de la politique caractérisée par l’existence de l’Etat et de la loi qui permet aux hommes de cohabiter.
D’autre part, il est vrai qu’en dépit de tous ses défauts, la démocratie libérale continue d’être d’un grand attrait pour beaucoup, même si la plupart des régimes autoritaires se déclarent démocratiques, car persuadés de représenter les intérêts généraux du peuple et d’avoir subtilement convaincu celui-ci à le soutenir. À la lumière des évènements et des bouleversements que connaît l’Occident, on peut affirmer, avec une marge d’erreur minime, que les beaux jours de la démocratie libérale sont bel et bien révolus.