Si nous communiquons les uns avec les autres, c’est que nos paroles ne sont pas de simples mots. Ce qui est reçu par autrui, ce ne sont pas des mots, c’est une totalité que forment le mot et son sens. Mais cette totalité n’est pas seulement celle du signifiant et du signifié, elle trouve son origine dans la totalité de soi donnée à même l’expression.
Le mot peut-être répété et enregistré par un magnétophone comme un simple son. Mais le magnétophone ne comprend pas. Il n’appréhende pas la signification, il n’est pas sensible au sens, à la vibration d’une voix, à sa chaleur et à ce qu’exprime une présence à travers les mots. Il faut une intelligence pour constituer le signe et lui donner un sens, il faut une conscience sensible pour appréhender une présence.
C’est la présence qui est intelligente et qui se communique dans les mots. L’essence de la stabilité de toute communauté humaine, et donc d’une nation, repose avant tout sur la parole. L’apparition de tout individualisme neutralise la parole et entraîne un acte de violence muet, dès son arrivée l’unité de la relation avec l’autre se brise, la dualité entre moi/l’autre se structure sous la forme d’un conflit. Ce qui est fondé sur le terrain de l’unité, c’est la possibilité d’une reconnaissance mutuelle, d’une entente, d’un respect mutuel. En brisant la relation, la violence détruit ce qui rend possible une communication. La violence est cette impatience dans le rapport avec autrui, qui désespère d’avoir raison et choisit le moyen le plus court pour forcer l’adhésion. Mais à ce titre, le violent se retrouve seul avec sa violence. La violence vous referme sur vous-même et vous coupe des autres. Mais en même temps, la violence se retourne contre nous-mêmes. Elle est destruction de soi ; les Anciens savaient déjà que la colère est une courte folie. On dit justement que celui qui est livré à la colère est hors de lui. C’est seulement quand on est détendu que l’on est soi-même. La colère est une émotion qui aliène le sujet, elle est une folie. Il y a certes une différence entre le brusque accès de colère qui retombe assez vite et vous laisse honteux de vous être laissé emporter, et la haine qui entretient le ressentiment, nourrit dans la pensée l’intention de nuire. Mais le fait même de laisser la violence s’emparer de soi, c’est aussi se perdre soi-même. Que la colère soit déjà une folie, cela se montre dans le déchaînement qui s’empare du corps, la violence suppose un échappement au contrôle; l’explosion émotive se libère en déchaînements paroxystiques, cris et gesticulations, qui attestent l’échec de toutes les disciplines personnelles. La Parole est l’expression vivante de la conscience qui donne une âme au langage. Je m’exprime avec la parole, comme je m’exprime par ma posture, avec mon regard, avec tout mon corps. L’autre s’exprime avec la moindre de ses attitudes corporelles, le moindre de ses regards. Non seulement cela, mais chacun d’entre nous s’exprime autant consciemment qu’il peut s’exprimer inconsciemment. L’être humain par sa seule existence s’exprime à la fois dans le champ verbal et non-verbal. L’expression humaine est comme une gestuelle, une danse qui emporte avec elle son sens. La parole est un véritable geste et elle contient son sens comme le geste contient le sien.
previous post