Manifeste contre l’illusion de la victoire
Le régime des mollahs n’est pas une dictature – c’est une croyance armée
Le pouvoir iranien actuel n’est pas un régime parmi d’autres. Ce n’est ni une république au sens moderne, ni une monarchie déguisée. C’est une structure de pouvoir totalitaire à fondement théologico-messianique, un système hybride dans lequel le clerc détient la souveraineté au nom d’un absolu. Inspirée par Khomeiny et nourrie par la théologie chiite du retour de l’Imam caché, la République islamique d’Iran ne vise pas seulement la conservation du pouvoir : elle aspire à une restauration métaphysique de l’Histoire, avec elle-même comme vecteur du jugement final.
Cette dynamique eschatologique donne au régime une résilience tragique: il endure la souffrance, transforme chaque sanction en épreuve rédemptrice, chaque échec en justification divine. C’est précisément pourquoi il ne tombera pas par lassitude, ni par négociation. Il ne s’effondrera que si le monde cesse de lui offrir la scène sur laquelle il joue son mythe.
Les événements de juin 2025, marqués par des frappes israéliennes coordonnées avec l’appui explicite des États-Unis, ont infligé des pertes sévères au cœur du programme nucléaire iranien. Fordow, Natanz, Ispahan : noms devenus synonymes de menace existentielle pour Israël et la région. Les installations ont été pulvérisées, les scientifiques ciblés, les réseaux infiltrés.
Ce succès militaire a interrompu l’enrichissement d’uranium à haut niveau, désorganisé les chaînes logistiques, réaffirmé la crédibilité des lignes rouges israéliennes. Et pourtant, malgré la précision et l’efficacité de l’opération, le régime n’est pas tombé.
Pourquoi ? Parce que la colonne vertébrale de ce régime n’est pas technique, mais idéologique. Le pouvoir n’est pas suspendu à ses centrifugeuses, mais à sa capacité à convertir la violence en transcendance, la douleur en mission.
Trois scénarios d’après-frappes:
Reconstruction clandestine : le programme nucléaire se disperse et se replie dans des souterrains plus profonds, rendant tout repérage plus difficile.
Riposte asymétrique : attaques par proxies, drones, cyber-opérations. L’Iran cherche à faire payer le prix de l’audace, sans assumer frontalement la guerre.
Contre-offensive idéologique : posture victimaire dans les instances internationales, captation de l’attention médiatique, mobilisation de l’antisionisme dans les ONG.
L’absence d’un changement de paradigme dans l’approche occidentale permet à l’Iran de se réorganiser. Le feu a été maîtrisé, mais l’incendie couve. Le régime iranien tient aussi parce que le monde le tolère. L’Occident moderne, exsangue spirituellement, a remplacé la vérité par le confort, la lucidité par la gestion des risques, la justice par l’équilibre diplomatique.
On parle de « modérés », de « partenaires », de « stabilisation ». On évite soigneusement de rappeler que ce régime tue ses opposants, viole ses femmes, exporte sa terreur, et fonde son idéologie sur l’anéantissement d’Israël.
L’erreur n’est pas seulement stratégique — elle est morale. Car refuser de nommer, c’est déjà participer. Et comme le disait Levinas:
« Le Mal ne commence pas dans l’horreur. Il commence dans l’indifférence. »
Les élites occidentales, hantées par le souvenir du colonialisme et intoxiquées par une culture du doute permanent, ne savent plus discerner entre résistance et barbarie, entre guerre juste et paix lâche. Elles veulent éviter l’engrenage, mais elles l’alimentent par leur passivité.
Or, comme le rappelait Raymond Aron : « Les démocraties modernes ne sont pas tuées par des coups de force ; elles meurent d’indifférence, d’abandon, de désagrégation intérieure. »
Face à ce vide moral, Israël ne peut rester silencieux. Il ne le peut pas seulement pour des raisons de sécurité. Il ne le peut pas, par fidélité à sa vocation.
Les prophètes d’Israël, Isaïe, Jérémie, Na’houm, n’ont jamais été des analystes. Ils furent les voix qui dérangent, qui réveillent, qui avertissent. Aujourd’hui encore, cette fonction prophétique est exigée :
« Car de Sion sortira la Torah, et de Jérusalem la parole de l’Éternel » (Isaïe 2, 3)
Face à une théologie du martyre, Israël doit rappeler la sainteté de la vie. Face à l’obsession du chaos rédempteur, Israël doit incarner l’ordre juste. Face à l’apocalypse messianique, Israël doit incarner la fidélité au monde réel.
Dire ce que d’autres taisent ce n’est pas un privilège. C’est une responsabilité. Le silence devant l’idole est trahison. Et la parole d’Israël, si elle demeure fidèle à ses sources, a la puissance d’un dévoilement. Elle ne parle pas seulement en tant que nation attaquée, mais en tant que peuple détenant encore une boussole.
Le temps n’est plus à l’analyse. Il est à la décision. Le monde ne peut plus se contenter de gestes techniques. Il doit opérer une rupture symbolique, politique et morale.
Ce qui doit être fait, maintenant: rompre tout processus de normalisation avec un régime messianique. Soutenir les voix libres iraniennes, sans les instrumentaliser. Élever la diplomatie au niveau de la vérité, et non de l’équilibre temporaire. Affirmer sans détour que la paix durable ne viendra qu’après la chute du régime clérical.
Ceux qui s’obstinent à considérer le régime des mollahs comme une question interne à l’Iran commettent une faute stratégique et morale. Depuis 1979, la République islamique s’est dotée d’un objectif clair : exporter sa révolution. Ce n’est pas un slogan, c’est une feuille de route. L’Occident l’a ignoré. Ce régime ne gouverne pas. Il conquiert. Il ne dialogue pas. Il infiltre. Il ne réforme pas. Il attend, il pourrit, il frappe. Ses milices opèrent à Beyrouth, à Bagdad, à Damas, à Gaza, à Sanaa. Son idéologie traverse les mosquées d’Europe, ses drones menacent Israël, ses ayatollahs rêvent d’un monde sans juifs, sans infidèles, sans dissidents.
Ce que nous voyons n’est pas un simple affrontement géopolitique. C’est une guerre contre l’esprit. Une guerre contre la femme libre, contre l’artiste, contre le penseur, contre le droit. C’est une guerre contre la lumière.
« Malheur à ceux qui appellent le mal bien et le bien mal », avertissait déjà le prophète Ésaïe (Is 5, 20).
Les mollahs appellent leur barbarie « piété », leur oppression « justice », leur expansionnisme « défense sacrée ».
Et l’Occident, par fatigue ou lâcheté, hoche la tête. Depuis des années, Israël affronte seul l’hydre chiite. Il a détruit des convois d’armes au Liban, neutralisé des sites nucléaires en Syrie, éliminé des hauts responsables du CGRI à Damas ou Natanz. Non par bellicisme. Mais parce qu’il sait. Parce qu’il est sur la ligne de front, géographiquement, spirituellement, historiquement. Parce qu’il se souvient que l’aveuglement face aux menaces absolues mène à Auschwitz. Ce choix, Israël le paie en diffamation, en diplomatie hostile, en pressions absurdes. Mais il tient. Parce qu’il n’a pas d’autre choix. Dans les prisons d’Evin ou dans les rues de Téhéran, les femmes brûlent leur voile. Les étudiants crient « Femme, Vie, Liberté ». Les jeunes tombent sous les balles mais se relèvent en milliers. Ils n’attendent rien de l’ONU, rien de l’Europe, rien des beaux discours. Ils veulent seulement que l’Occident arrête d’armer leurs bourreaux par ses contrats, ses concessions, sa cécité.
C’est à nous, maintenant, de choisir, entre la clarté ou la compromission, entre l’alliance avec les forces de la vie, ou la cohabitation avec les serviteurs de la mort. Nous n’avons plus l’excuse de l’ignorance, plus l’excuse de la distance, plus l’excuse du doute. Juin 2025, la guerre n’est pas finie, elle ne fait que commencer et son issue dépendra moins de nos armes que de notre courage à voir, et à nommer.